Vers la décroissance démographique

mardi 15 décembre 2020, par Dominique Taddei *

Originellement, la démographie est née, en Angleterre au milieu du XVIIe siècle, sans doute sous l’impulsion de John Locke, en s’intéressant centralement à la mortalité, avec la publication, en 1662, des Observations naturelles et politiques sur les tables de mortalité de la ville de Londres (H. Le Bras, Paris, Gallimard/Le seuil, 2001). Il est vrai qu’il fut longtemps impossible d’avoir des statistiques de valeur équivalente pour la natalité, compte tenu du fait que l’enregistrement effectué était celui des actes de baptême et qu’il conduisait ainsi à sous-estimer les naissances, ainsi que la mortalité infantile qui était celle de toutes les sociétés anciennes. Heureusement, cette origine politique de la démographie eut, pour effet attendu, un siècle plus tard, de commencer à améliorer les niveaux d’hygiène, de santé publique et de surveillance générale des conditions de vie de toute la population, et notamment des femmes et des enfants.

Il devait en découler un premier décollage démographique, qui inquiéta si fort le pasteur Robert Malthus qu’il mit, au contraire, l’accent sur la croissance de la natalité. Il comparait essentiellement cette croissance à celle de la quantité de subsistances disponible, à l’aide de prétendues lois de progression, lesquelles parurent vite erronées : sa supposée progression arithmétique des subsistances n’a aucun fondement logique et ne correspond à une réalité empirique que de manière purement fortuite ; sa progression géométrique de la population a un fondement plus solide, à ceci près qu’elle n’engendre pas une croissance exponentielle sans fin, mais qu’elle se combine tôt ou tard à une force de freinage, engendrée par les limites dans lesquelles elle évolue. Ceci conduirait plutôt à une croissance démographique en S, dite courbe sigmoïde ou logistique, due au mathématicien belge Verhulst, qui devait s’avérer pertinente dans de nombreuses disciplines, mais qui suppose une limite supérieure qui, en démographie, reste à préciser et surtout à démontrer.

Cependant, en 1934, Adolphe Landry (1874-1956) publiait « La révolution démographique » (nouvelle édition Ined, 2 020), un livre qui révolutionnait la démographie, en ce qu’il était centré sur la comparaison des évolutions respectives des taux de mortalité et de natalité : il analysait comment les sociétés contemporaines avaient substitué au régime démographique traditionnel, reposant sur des taux de natalité et de mortalité élevés, un nouveau régime basé sur des taux réduits. Mieux encore, il montrait que le recul tardif du premier sur le second entraînait une croissance démographique accélérée, une « révolution », qui ne cesserait que lorsque le taux de natalité serait descendu au niveau de celui de la mortalité.

Depuis près d’un siècle, cette théorie est devenue dominante sous le nom édulcoré de ’transition démographique’. L’Ined définit comme suit cette dernière : « Le passage d’un régime traditionnel où la fécondité et la mortalité sont élevées et tendent à s’équilibrer à peu près à un régime où la natalité et la mortalité sont faibles et s’équilibrent également ». L’usage de cette expression suppose donc, d’une part, pour le passé un régime quasi-stationnaire tel qu’on l’observe quand, sur une période suffisamment longue, le taux annuel de variation de la population reste près de zéro ; et, d’autre part, pour l’avenir, ce terme de « transition » suppose qu’à l’issue du processus, on retrouverait un régime de même nature. On notera, au passage, que Landry ne préjugeait pas de cette future stationnarité, et même qu’il en discutait les conditions politiques progressistes permissives, à la fin de son ouvrage.

En 2020, en s’appuyant sur l’ensemble des travaux rétrospectifs et prospectifs les plus récents, il est temps de renoncer, non à son analyse initiale, qui demeure incontournable, mais à cette idée de transition, alors que tout montre qu’on se dirige vers une décroissance démographique marquée dans l’ensemble des pays du monde, y compris probablement au début du siècle prochain ceux de l’Afrique subsaharienne, dont les taux de fécondité demeurent aujourd’hui encore les plus élevés.

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Pour réviser les évolutions antérieures, améliorer les analyses prospectives et approfondir les comparaisons internationales, une grandeur de plus en plus utilisée est le taux final de descendance féminine, qui revient à comptabiliser combien d’enfants ont eu en moyenne les femmes atteignant l’âge de 50 ans, en faisant la somme des taux de fécondité par âge d’une génération. L’avantage essentiel de cet indicateur sur les taux de fécondité, dits conjoncturels ou synthétiques, pour des études séculaires ou pluriséculaires, est qu’il est doté d’une bien plus grande stabilité, gommant en particulier les variations de l’âge moyen des maternités : ainsi, en France, l’âge moyen des premières naissances a pu passer de 30 à 25 ans entre 1945 et 1973 avant de remonter progressivement de 25 à 30, sans que cela n’affecte dans les mêmes proportions le taux de descendance finale demeuré proche d’un état démographique stationnaire. Mais, surtout, cet indicateur permet de montrer que, dans les pays déjà entrés en décroissance démographique (cf. infra), il n’y a aucune raison de croire à une remontée tendancielle de la fécondité vers un taux de 1,5, comme le suppose le modèle de l’ONU, ou encore moins de 1,75, comme le font d’autres modèles, et encore moins évidemment supérieurs à 2, ce qui serait nécessaire pour éviter la perpétuation de cette décroissance, comme nous allons le voir. Or, la divergence sur cette hypothèse explique finalement à elle seule les deux tiers des différences finalement obtenues entre les différentes projections de la population mondiale pour le reste du siècle.

Un taux final de descendance qui assurerait la stationnarité d’une population, hors migrations, peut être appréhendé en effet, à l’instar d’un taux net de reproduction, en prenant en compte deux éléments assez faciles à mesurer :

- d’une part un « taux de masculinité » qui tient compte de ce que l’on recense dans tous les pays à toutes les époques, un peu plus de naissances masculines que féminines à un taux presque invariable, autour de 1,07 ;

- d’autre part, la probabilité pour une femme d’être encore en vie à l’âge moyen de la procréation dans la population considérée. À la différence du précédent, ce facteur est évidemment variable dans le temps et dans l’espace, suivant les conditions sanitaires des pays. Aussi, aujourd’hui, le taux final de descendance est encore de 3,3 environ dans certains pays d’Afrique subsaharienne, mais seulement de 2,1 dans les pays les plus développés, où la mortalité infantile est devenue statistiquement très faible, si bien qu’environ 99% des femmes vivent encore à l’âge moyen des maternités, qui est proche de 30 ans.

Avoir un taux de descendance finale égal à ce taux de reproduction d’état stationnaire, c’est assurer pour un pays une constance du nombre de femmes d’une génération sur l’autre, hors migrations. En 2020, ce taux de reproduction est, à l’échelle mondiale, d’environ 2,3, alors que le taux observé de descendance finale des générations féminines est tombé légèrement en dessous de 2,5. Cette différence suffit encore pour assurer une augmentation de la population mondiale, mais le resserrement progressif de cet écart fait que celle-ci ne fait que décélérer depuis plus d’un demi-siècle : le point d’inflexion, caractéristique de toute courbe en S, fut atteint en 1964, époque où la croissance de la population mondiale fut maximale. Bien entendu, ces chiffres, et ces dates, varient très largement de pays à pays. Ainsi, quand, après guerre, l’Allemagne et d’autres pays d’Europe à sa suite ont connu durablement un taux d’environ 1,4, cela a signifié que trois mères ont eu en moyenne deux filles, et, sur une génération supplémentaire, que 9 grands-mères ont eu en moyenne quatre petites filles, soit une réduction de plus de la moitié de la population, hors migration, en à peine plus d’un demi-siècle. C’est d’ailleurs ce qui attend, selon toute vraisemblance, la moitié de l’humanité dans le prochain demi-siècle.

Ce taux de descendance finale a longtemps été sous-utilisé par les démographes, pour la bonne raison qu’il ne pouvait pas prendre en considération les évolutions récentes, concernant notamment les nouvelles générations, puisqu’il fallait attendre qu’elles aient atteint la cinquantaine pour comptabiliser leur progéniture... Mais, aujourd’hui, les travaux économétriques les plus sérieux convergent pour démontrer qu’on peut valablement les anticiper à partir des régressions effectuées sur l’ensemble de leurs variables déterminantes et, en particulier, les deux principales d’entre elles (qui fournissent plus de 80 % de la régression) : la durée de scolarité des filles et leur libre accès aux moyens modernes de contraception qu’elles peuvent employer elles-mêmes.

Le graphique 1, dû à l’équipe IHME de l’Université de Washington (cf. « Scenarii de fécondité, mortalité, migrations et population pour 195 pays de 2017 à 2100 », The Lancet, juillet 2020), montre très clairement que, dans toutes les régions et les pays du monde, les femmes ont une descendance finale de 6 à 8 enfants, quand elles ont connu moins de deux ans d’éducation ; elles n’en ont plus que deux ou moins, quand elles en connaissent une dizaine d’années. Comme on peut l’observer sur ce graphique, les changements les plus spectaculaires s’effectuent surtout pour les premières années de scolarité et vont en s’atténuant jusqu’à environ la dixième, ce qui explique le caractère incurvé vers l’origine des axes de la relation pour presque tous les pays.

Graphique 1 : Descendance finale des femmes

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Ce mode d’approche, en termes de renouvellement des générations féminines, conduit à redéfinir, en les enrichissant, les « trois âges » standard de la démographie :

- L’âge ancien - des origines au milieu du XVIIIe siècle - est bien celui d’une quasi-stationnarité démographique, avec un taux de reproduction nette et un taux de descendance finale très élevés et relativement comparables, de l’ordre de 6 à 8 enfants par femme : les fluctuations intra-séculaires dues aux famines, aux guerres et aux épidémies, ainsi que les phases de rattrapage qui s’ensuivaient généralement, étaient plus marquantes pour les contemporains et les observateurs jusqu’aux premiers grands travaux rétrospectifs de la démographie historique, tandis que la tendance ascendante de plus long terme restait imperceptible. Ainsi, la population mondiale avait pu passer d’environ 400 millions en 1300 à 600 millions en 1700, pour passer à un milliard en 1800, grâce à une accélération récente : vers 1750, une population mondiale d’environ 750 000 individus (dix fois moins qu’aujourd’hui) traduisait encore la faiblesse du taux de croissance multiséculaire et millénaire. Ce relatif équilibre entre mortalité et natalité était déterminé, de façon contradictoire, par un environnement traditionnel, à la fois sur le plan sanitaire et sur le plan culturel : le premier entraînait une forte mortalité, à la fois infantile, mais aussi maternelle, et un pourcentage élevé de fausses couches et d’avortements ; le second déterminait la quasi-absence de scolarisation des femmes et leur ignorance des méthodes contraceptives efficaces.
Or, à des dates qui s’échelonnent, selon les pays, depuis la fin du XVIIIe siècle en Angleterre jusqu’à aujourd’hui à peu près partout dans le monde, l’environnement sanitaire des femmes et de leurs jeunes enfants s’est amélioré toujours et partout bien avant celui de leur environnement éducatif et culturel.

-  Le second âge, que l’on dit transitoire, ou mieux révolutionnaire à la manière d’Adolphe Landry, est celui de la croissance démographique d’apparence exponentielle qui voit le taux de reproduction nette des générations baisser progressivement, d’abord dans les pays européens, sous l’effet de la réduction de la mortalité des petites filles, puis progressivement celle des femmes en âge de procréer. Durant toute cette période, plus ou moins longue suivant les pays, les progrès de l’éducation des filles et leur possibilité d’accéder à la contraception étaient si ce n’est négligeables, du moins bien trop faibles pour faire baisser dans les mêmes proportions le taux de descendance finale que l’on pouvait observer.
Néanmoins, les progrès sanitaires, en direction de la population féminine de moins de 50 ans et de leurs jeunes enfants, finissent par plafonner, ne serait-ce que pour des raisons logiques (le taux de mortalité infantile est proche de zéro dans tous les pays les plus développés...), tandis que les progrès de l’éducation féminine et de l’accès à la contraception finissent par se répandre, non sans combat, dés la fin du XVIIIe siècle en Europe occidentale, puis d’un continent à l’autre et, finalement, trois siècles plus tard en Afrique subsaharienne.

- Le troisième âge est celui, non de la nouvelle stationnarité prédite par la théorie de la transition, mais celui de la décroissance démographique, qui voit tomber le taux de descendance finale des femmes, au dessous de 2,1, voire de 1,5, soit largement inférieur au taux net de reproduction des générations. Cette tendance est universelle, mais la question de savoir vers quel taux de descendance finale pourraient tendre les différents pays est absolument cruciale : suivant qu’il s’agirait de 1,4 ou 1,75% (comme le projettent les études de l’ONU) ou 2,1 comme pourraient l’avancer les plus optimistes ou volontaristes, le destin des pays et de leurs relations sera totalement différent. Or, cette tendance fondamentale n’obéit à aucune détermination exogène connue, contrairement à ce que semblent croire certains auteurs récents (D. Bricket et J. Ibbitson, Planète vide : le choc du déclin de la population mondiale (Hachette, 2019). Il suffit, pour s’en convaincre, de voir la situation bien différente des pays européens. On connaît ainsi le contraste entre les anciens belligérants de la dernière guerre mondiale : les pays vaincus (Allemagne, Japon...) ont résolument opté pour une forte réduction des naissances pour des raisons qui mériteraient d’être approfondies, même si elle a pu être masquée par l’immigration et la réunification pendant quelques décennies pour le premier de ces pays. A contrario, cette réduction est jusqu’ici très contrariée dans des pays comme la France, et dans une moindre mesure le Royaume-Uni, qui semblent avoir voulu justifier a posteriori leur place dans le camp des vainqueurs par des comportements collectifs et des politiques natalistes. Même aujourd’hui, entre pays voisins et en bien des points comparables, la fécondité de l’Espagne et de l’Italie sont tellement basses que ces deux pays risquent d’avoir une population deux fois moindre d’ici la fin du siècle, alors que celle de la France se maintiendrait ! Autrement dit, l’évolution des prises de conscience, des comportements collectifs et des politiques qui en tiennent compte est fondamentale.

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La récente publication dans la revue The Lancet des projections (qualifiées abusivement de prévisions « forecasts » : cf. infra), effectuées par l’équipe IHME déjà citée, apporte des éclairages, dont on peut discuter les détails, mais dont les grandes tendances et les ordres de grandeur paraissent convaincants : la population mondiale atteindrait son zénith dès les années 2060, avec un peu moins de 10 milliards, avant de commencer de décroître de façon de plus en plus générale, au point que cette décroissance concernerait 184 sur 195 des pays retenus, à la fin du siècle, et que la population mondiale redescendrait alors à quelque 8 milliards et demi d’individus. Les projections de la Direction de la population de l’ONU (2019) sont certes plus élevées, en ce qu’elles supposent qu’un relatif redressement devrait s’opérer dans les pays où la fécondité est devenue la plus faible, ce qui retarderait d’un demi-siècle l’âge de la décroissance démographique. Mais, comme le notent les auteurs du IHME, rien ne permet de faire de cette dernière supposition une hypothèse centrale, car elle ne s’observe que dans une minorité de pays et, ce en s’appuyant sur un taux de fécondité qui s’avère fluctuant. A contrario, si l’on atteignait les objectifs de développement durable de l’ONU, en matière d’éducation des filles et de contraception, la population mondiale tomberait à quelque 6 milliards, au moins un de moins qu’aujourd’hui. C’est pourquoi, en s’en tenant à la population en âge de travailler, les auteurs proposent les projections suivantes :

Graphique 2 : Adultes en âge de travailler

La généralité de cette courbe en cloche, en particulier dans les dix pays les plus peuplés du monde (cf. graphique 2), traduit bien que la forme en S jusqu’ici observée de la population ne relève pas de la loi de Verhulst, dans la mesure où cette dernière tendrait asymptotiquement vers une limite supérieure et non pas vers une décroissance, contrairement à ce que l’on a observé d’abord au Japon, puis en Russie, tendance qui devrait gagner successivement tous les grands pays du monde et, par conséquent, dans les décennies à venir, la population mondiale. Ceci s’explique par le fait que ce retournement n’a pas une cause à proprement parler écologique, mais qu’il s’explique par un décalage temporel marqué entre les fonctions de mortalité et de natalité. Or, pour ces dernières, personne n’est en mesure de proposer une prédiction raisonnée sur le taux de descendance finale des générations féminines vers lequel on devrait tendre, à supposer même qu’un tel attracteur doive exister : à défaut d’un déterminisme prédictif, il est donc plus important de s’interroger sur l’évolution des prises de conscience, des préférences collectives et des politiques, qui pourrait influencer ce taux de descendance. Tout au plus, pourra-t-on noter qu’une population mondiale, à la fois stationnaire en nombre et durable sur le plan écologique, correspondrait à environ quatre milliards d’individus, avec leurs modes de vie actuels, si on tient compte d’une « empreinte » actuelle proche de 1,7, à l’échelle de la planète. On comprend immédiatement que la décroissance démographique ne sera nullement suffisante pour épargner aux prochaines générations les pires catastrophes (extinction de masse, dérégulation climatique, pollutions en tout genre, etc.). Mais il existe heureusement bien d’autres manières de réduire cette empreinte, la décroissance démographique n’étant qu’une variable à ne pas négliger dans cette stratégie.

Au demeurant, cette universalité de la décroissance démographique présente ou prochaine ne doit pas occulter des situations nationales particulières riches d’enseignement. Ainsi, le caractère moins lisse, plus « tremblotant », de la courbe chinoise est le reflet du volontarisme particulièrement marqué de la Chine, avec la « politique de l’enfant unique », puis son abandon : on remarque qu’elle se fera évidemment encore sentir dans les années 2060 avec la réduction marquée des générations féminines qui en découlera. Cet exemple particulièrement important à l’échelle globale nous rappelle aussi que des préférences collectives et des politiques nationales (y compris migratoires) différentes pourraient conduire à des situations démographiques tout à fait opposées en une ou deux générations, du fait en particulier que les populations réagiraient différemment aux premiers effets criants de la décroissance démographique. C’est bien pourquoi, indépendamment de toutes les causes exogènes qu’on voudra bien envisager, l’exercice prospectif ne relève nullement d’une prévision ou d’une prédiction. Il est toujours possible à un peuple d’infléchir d’abord, puis ultérieurement, de modifier le « sort » que ce genre d’exercice semble lui promettre : il dispose pour cela, non seulement des politiques migratoires, mais aussi natalistes. En effet, au-delà des déterminants centraux que représentent l’éducation des filles et l’accès aux moyens contraceptifs modernes, les accès à un emploi stable, à un logement décent et des moyens de garderie collective pour les enfants les plus jeunes sont des moyens éprouvés pour faire remonter un taux de fécondité au moins au seuil de reproduction stationnaire. Cela est particulièrement vrai dans des pays comme la France où le désir d’enfants exprimé par les jeunes couples dans toutes les enquêtes est significativement supérieur à 2,1, et a fortiori à celui observé, qui est d’environ 1,9. Dans d’autres pays, asiatiques notamment, où la solidarité intergénérationnelle supplée tant bien que mal la faiblesse des systèmes de sécurité sociale, on peut bien penser que seul le renforcement de ces derniers pourrait faire remonter substantiellement les nombres d’enfants désirés et effectivement mis au monde.

Quoi qu’il en soit de ces politiques de redressement du niveau des naissances pour essayer de le rapprocher du taux de renouvellement des générations féminines, le zénith de la courbe de population surviendra à des périodes si distantes entre continents et pays qu’il devrait en résulter, pendant longtemps, une situation mondiale violemment contrastée : d’un côté des pays, grands ou petits, en véritable implosion démographique, avec une population réduite de moitié au Japon, puis en Chine et en Inde, mais aussi dans la plus grande partie de l’Europe centrale et orientale ou méditerranéenne ; et, de l’autre côté, une explosion démographique confirmée avec une multiplication par 3 dans l’Afrique subsaharienne, le plus grand de ces pays, le Nigéria devenant le deuxième pays le plus peuplé au monde. Il est à peine besoin de dire quelle importance revêtiront d’ici là les questions géopolitiques, et, en particulier, migratoires, face à des situations aussi contrastées.

Les contradictions et tensions ne seront pas moins problématiques à l’intérieur des différents pays, l’ancienne pyramide des âges adoptant progressivement une forme d’amphore (cf. graphique 3), avec un âge moyen s’approchant de 60 ans pour les femmes et de 65 ans pour les hommes. Les octogénaires (et plus) devenant aussi nombreux que les enfants de moins de 5 ans, on verrait s’élargir la problématique japonaise qui conduit à produire plus de couches pour les premiers que pour les seconds... Plus sérieusement, il y a toutes les raisons de penser que ces pays vieillissants étant les plus nombreux, la croissance mondiale de la productivité par habitant, déjà très faible, devrait encore s’affaiblir pour au moins deux raisons : directement par la baisse de la part de la population en âge de travailler, comme l’illustre le graphique 2 ci-dessus, et indirectement par une moindre appétence pour les activités marchandes de l’ensemble, incluant la prise en compte des risques sanitaires et écologiques, sans qu’il soit facile d’évaluer la part respective de ces deux facteurs. Mais quelle qu’elle soit, ces tendances devraient rendre encore plus cruciales qu’aujourd’hui les questions de répartition des revenus et des patrimoines et, plus précisément, celles des inégalités sociales, au sens le plus large du terme. De même, cette décroissance vraisemblable des productions marchandes posera inéluctablement, avec une acuité nouvelle, la question du développement des activités non marchandes, qu’elles revêtent des formes publiques et/ou communautaires.

Graphique 3 : Pyramide des âges selon les scénarios des besoins et d’éducation

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La décroissance n’est donc pas une préférence idéologique parmi d’autres. Elle est une réalité tendancielle, séculaire, assurément pour la population mondiale, probablement pour l’économie marchande. Il est donc grand temps que les opinions publiques et les décideurs se préoccupent collectivement des conséquences de cette décroissance, non pas seulement sur le plan écologique, mais aussi sur le plan socio-économique de chaque pays et sur celui des relations géopolitiques et migratoires entre les pays.

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