État de droit et émancipation de la femme au Sénégal : lorsque l’engagement des femmes prend de l’avance sur la justice

vendredi 11 juin 2021, par Fatou Faye *

Depuis son accès à l’indépendance, le Sénégal demeure un « État de droit » dans lequel l’inégalité homme-femme est codifiée. Un État dans lequel les valeurs démocratiques telles que la liberté d’expression, l’égalité de chance, l’égal accès aux emplois civils et militaires, l’égal accès aux besoins fondamentaux, ne prennent en compte l’aspect de ces libertés associées aux femmes que très relativement. C’est la conjugaison de nombreux facteurs internes et externes qui a permis aux femmes de poser le débat de la nécessité de leur émancipation sociale (aspect qui souffre la plupart du temps d’un mutisme juridique), mais aussi politico-juridique, en luttant contre les inégalités de sexe légalisées par le législateur sénégalais dans un État dit de droit.

En plus des obstacles sociaux culturels, la légalisation et la codification de ces inégalités (code de la famille, droit du travail…) sont les principaux problèmes auxquels se heurtent les femmes pour réhabiliter leur statut au sein d’une société où la religion et la culture maintiennent le système social patriarcal aussi bien dans l’espace public (les instances de décisions politiques, administratives que les hommes tendent toujours à dominer) que celui privé (familles, mariages…). Mais, avec le temps, des voix de femmes se sont levées çà et là pour faire face à cette injustice qui ne disait pas son nom.

Les premières vagues de contestation ont pris forme grâce à la création des mouvements associatifs tels que Yewu Yewi (1980) et l’association des juristes sénégalaises (1974) qui ont jeté les bases d’une protestation féminine durement réprimée par la société sénégalaise (insultes, stigmatisations, intimidations, agressions, etc.). Ces associations ont permis aux femmes de se doter de cercles de réflexion pour mettre en place des stratégies de lutte contre les violences basées sur le genre qui, jusque-là, étaient cantonnées dans le mot « discrimination ». En effet, le code de la famille sénégalais adopté en juin 1972 a été la première cible de ces associations. Malgré deux phases de modifications, il comporte encore des articles qui renforcent les violences basées sur le genre. Il s’agit ainsi de la polygamie, de l’homme désigné comme chef de famille, de l’interdiction à une femme d’entamer une action en indication de paternité, du choix de la résidence familiale consacré à l’époux, etc. Les associations féminines ont compris assez tôt qu’il fallait politiser ces inégalités de sexe et discrimination pour que la préoccupation des femmes soit prise en compte sur le plan politico-juridique. Cela a bien porté ses fruits après des années de lutte, avec des succès-phares qui sont : l’interdiction des mutilations génitales des femmes, l’adoption de la loi sur la parité absolue homme-femme dans les instances électives et semi-électives en mai 2010, la criminalisation du viol, l’intégration des femmes dans les services militaires et paramilitaires, l’égalité de salaire, la création d’une direction de genre dans tous les ministères, etc. C’est à partir de là que les mouvements des femmes ont pris de l’avance sur la justice, dans un État où le droit est cessé prendre les devants, protéger les citoyens contre toutes les formes d’injustice et sanctionner la violation des lois.

L’un des facteurs déterminants, qui a été essentiel pour la réhabilitation juridique et sociale du statut de la femme au Sénégal, est la ratification de toutes les conventions des droits de l’homme par le Sénégal qui font partie intégrante de sa constitution à travers son préambule. Mais aussi, la ratification de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes (CEDEF) en décembre 1979 et du protocole de Maputo en juillet 2003, a été très décisive. Ces piliers juridiques internationaux ont servi de base au plaidoyer des organisations communautaires de femmes. Cela a aussi permis aux organisations internationales d’apporter leur appui aux mouvements de femmes.

L’apport des partenaires techniques et financiers aux mouvements des femmes est un aspect très stratégique qui permet aux femmes de dérouler des feuilles de route pour faire face aux décideurs politiques, de faire du lobbying pour l’adoption de lois relatives à la facilité de l’accès des femmes à l’éducation, pour l’amélioration de la santé et de la capacité de reproduction des femmes, l’accès à la terre, etc. Bien des combats ont été couronnés de succès, grâce aux partenaires internationaux qui ont contribué à la matérialisation de la vision du mouvement féminin comme projet de société.

L’internationalisation de la lutte pour l’émancipation par les mouvements de femmes, à travers la participation de ces dernières à des conférences internationales et à des travaux préparatoires de conventions, à des manifestions, à des mémorandums, a permis à l’État du Sénégal de comprendre que la discrimination juridique à l’endroit des femmes, ne jouait pas en sa faveur sur le plan diplomatique. En effet, très soucieux de son image diplomatique au sein de la communauté internationale, l’État du Sénégal s’est efforcé d’associer à ses politiques publiques les revendications des femmes qui découlent des conventions qu’il a ratifiées. En principe, l’État ne devrait même pas attendre que les mouvements de femmes prennent les devants pour l’exhorter à faire respecter les droits des femmes dans tous les domaines. Mais, malheureusement, l’engagement des femmes pour leur propre émancipation dépasse de très loin la protection politique et juridique de leur statut. Actuellement, les lois spécifiques votées pour corriger le mutisme juridique de la violence à l’égard des femmes souffrent d’ineffectivité. Leur application fait défaut et ce sont les décideurs politiques qui sont à l’origine de leur violation. Ce qui rend la lutte doublement difficile. Mais les femmes activistes s’activent à faire rompre le silence et encouragent les femmes à dénoncer les violences par tous les moyens. Ainsi, les réseaux sociaux aident beaucoup pour atteindre cet objectif.

L’usage des nouvelles technologies de l’information constitue l’un des principaux facteurs qui ont permis la libération des femmes. Elles leur ont facilité l’accès à l’information à travers les réseaux sociaux comme Facebook, instagram, etc. Mais aussi de dénoncer les violences dont les femmes sont victimes dans leurs propres terroirs (violences physiques, féminicides, viols, non-respect de la loi sur la parité, etc). Maintenant, les faits se dénoncent en un rien de temps et ceci est une forme de lutte que la nouvelle génération de femmes a développé partout à travers le monde.

Sans oublier que les NTIC (nouvelles technologies de l’information et de la communication) ont permis aux femmes de poser les débats sur les violences faites aux femmes sur la « place publique » en permettant à l’ensemble des femmes de donner leur avis. En effet, certains combats d’antan n’étaient portés que par les femmes « intellectuelles » au sein des salles de conférence, dans les panels et séminaires. Maintenant, tel n’est plus cas, les jeunes activistes, à travers l’internet, donnent la parole à toutes les femmes et surtout celles du monde rural qui, à défaut d’écrire des textes, publient des vidéos directement pour parler des faits. Ce qui est une avancée considérable qui a permis d’alerter le maximum de personnes sur les violences faites aux femmes partout au Sénégal. L’adoption de certaines lois comme la criminalisation du viol a été propulsée grâce à la médiatisation sur les réseaux du web, des viols répétitifs suivis de meurtres, parfois même avec préméditation, perpétrés à l’égard des femmes. Les NTIC ont permis aux jeunes femmes illettrées résidant dans les coins reculés du pays de se faire entendre en portant les combats liés à leur communauté tels que l’accès à la terre, la lutte contre les mariages précoces, etc.

L’émancipation des femmes devrait être un projet social pour chaque État de droit. Actuellement, elle fait partie des piliers négligés de la démocratie. Elle demeure encore une lutte portée par les femmes dans les démocraties modernes bien qu’on ne puisse parler de démocratie sans l’émancipation des femmes. Alors quelle forme de gouvernance dispose-t-on dans ces États où les droits des femmes ne sont pas respectés ?

D’où la nécessité de s’interroger sur la forme de gouvernance qui pourrait être accordée à la femme, la place qu’il lui faut pour sa participation effective dans la gestion de la chose publique et pour son propre épanouissement.

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