L’extrême droite, c’est la gangrène...

jeudi 14 avril 2022, par Samy Johsua *

Devant le déplacement de l’ensemble du champ politique vers les thèmes chers à l’extrême droite, il nous paraît important de faire un point synthétique des principaux courants d’extrême droite : l’organisation jusqu’à présent dominante et supposée se rapprocher de l’acceptable qu’est le RN, la montée en puissance d’une nouvelle force derrière le tribun Éric Zemmour. Nous ne visons pas une étude exhaustive du sujet, mais proposons une articulation entre ces divers points.

Marine le Pen, le diable qui se voulait normal

Depuis l’accession de Marine Le Pen (MLP) à la présidence du Front national en 2011, le Rassemblement national serait devenu un parti fréquentable. Cette soi-disant dédiabolisation est une stratégie visant à attirer de nouveaux soutiens et surtout conquérir le pouvoir. Cette mise en scène de MLP, gomme les aspects agressifs du parti, notamment par la mise à l’écart de son père, le changement de nom en 2018 et le recrutement de cadres mieux à même de représenter la nouvelle ligne dans les médias. Cette dédiabolisation a occasionné des remous internes avec des batailles de positions. Si des éléments négatifs pour leur offre politique, les propos et attitudes trop ouvertement racistes, antisémites, xénophobes sont ciblés et leurs auteurs écartés du RN, le parti continue d’accueillir des radicaux comme l’ex-mouvance GUD, des identitaires néo-nazis voire des négationnistes.

Nombre de propositions programmatiques héritées du FN (la sécurité, la défense de l’identité ou la préférence nationale) constituent le fondement xénophobe et raciste des mesures pour 2022. Depuis les années 2000 le FN dénonce les élites politiques, incapables et corrompues face aux invisibles et aux oubliés, un peuple fantasmé. Loin d’une défense du monde du travail, c’est une division entre Français et étrangers qui sert d’orientation. La gauche radicale serait le vecteur de l’immigration, voire d’un envahissement, de la perte des emplois français et de la baisse des prestations sociales. A contrario, le RN promeut un protectionnisme voulant faire renaître notre civilisation.

Le sens du vent

Historiquement favorable à des baisses d’impôts pour les particuliers et les PME, le RN défend à présent la dépense publique mais pour les vrais Français. Jean-Marie Le Pen avait entamé ce revirement, sa fille a achevé cette mue en 2012 avec des propositions de mesures sociales telles que la hausse du minimum vieillesse ou la baisse des tarifs du gaz et de l’électricité. De campagne en campagne, MLP revoit sa copie sur différents sujets en fonction des périodes, les principaux changements concernent la position vis-à-vis de l’Europe et du nucléaire.

Défections et emprunts en cascade

Le RN, en déficit, emprunte tous azimuts. À l’issue des scrutins de 2020 et 2021, Jordan Bardella dirigeant par intérim, hérite d’un parti en panne de militants et de cadres. L’implantation du RN a fondu d’un tiers dans les régions et de plus de la moitié dans les départements. Les conseillers régionaux devaient témoigner de l’implantation et de la professionnalisation du parti mais une centaine d’élus ont quitté le mouvement en cinq ans. C’est la conséquence du turnover imposé par le siège qui avait permis à MLP de casser les baronnies et de garder la main sur l’appareil.

Pour sa troisième candidature à l’Elysée, la leader du RN tente de modeler son image dans l’espoir de terminer sa dédiabolisation en faisant campagne malgré les défections et un parti sous tension.

Un nouveau candidat sorti du chapeau

Éric Zemmour vient concurrencer MLP sur ses plate-bandes. Sa force provient des nombreux soutiens – radicaux – sur lesquels il peut compter. On peut toutefois s’interroger sur les raisons d’une ascension si fulgurante, alors même que d’autres extrêmes droites, plus ou moins banalisées, sont également là, mais avec moins de succès. En réalité, le projet Zemmour a ce petit quelque chose en plus, cette vieille promesse de l’union des droites. Grâce à une incroyable présence médiatique, Zemmour parvient à libérer la parole d’une extrême droite décomplexée. Celle-là même que la droite républicaine n’arrive pas à assumer et que MLP ne voulait plus clamer trop fort.

Zemmour ressemble à l’extrême droite, sent comme l’extrême-droite mais n’est pas l’extrême droite

Il en a la style, les codes, la violence. Il est parvenu à faire son trou grâce à de nombreux appuis dans ce milieu. Les partisans du grand remplacement ou d’une France chrétienne, ceux qui voudraient faire le pont entre De Gaule et Pétain, ou qui se réclament de Maurras. Une ultra-droite déçue par MLP et dont beaucoup ne croient plus dans sa capacité à gagner. Et si Zemmour rate le coche en 2022, ne sera-t-il pas le mieux placé pour refonder un grand mouvement d’extrême droite ? Journaliste depuis 1986, Zemmour a passé sa vie dans le monde des médias et se vit en tant que polémiste, éditorialiste ou influenceur politique. Certes, en tant que personnalité publique, condamnée deux fois pour provocation à la haine raciale, il est aujourd’hui à la meilleure place pour promouvoir son idéologie en relation étroite avec la stratégie Bolloré.

Le projet Zemmour est tracé

En quoi se différencie-t-il de MLP ? En premier lieu par l’électorat féminin qui lui est très défavorable, contrairement à sa concurrente qui a mieux travaillé ce segment depuis des années. Ce déficit est à relier avec les vives campagnes masculinistes que Zemmour a défendues dans ses publications. Zemmour pourrait-il être celui qui arrive à ouvrir en grand la fenêtre d’Overton dans l’union des droites ? Il porte la contradiction de ramener de la radicalité dans un champ banalisé, le liant qui rapproche extrême droite et droite extrême. Pour autant, son nouveau mouvement Reconquête est-il une bulle médiatique ou dispose-t-il d’un véritable ancrage réel de son idéologie, axée sur le grand remplacement et la sécurité ?

Zemmour n’est pas le candidat qui représente le mieux les idées d’extrême droite pour la classe ouvrière. Ses soutiens proviennent davantage des milieux aisés partisans d’une politique néolibérale et peu enclins à accepter la politique libéral-protectionniste de MLP.

Sa stratégie passe par l’utilisation intensive des outils numériques, la saturation des réseaux sociaux, afin de créer le buzz et multiplier les controverses, notamment par la manipulation des faits historiques. Si la structuration d’un embryon d’union des droites derrière Zemmour est en bonne voie, cette orientation devra toutefois se concrétiser par un score significatif aux scrutins présidentiels et législatif.s

Banalisation politique et médiatique de l’extrême droite

Étudier la place prise par l’extrême droite française en 2022, son influence dans les débats publics et la normalisation de ses discours oblige à prendre du recul pour essayer de comprendre ce qu’il faut qualifier d’extrême droitisation du champ politique et médiatique.

Les raisons de l’enracinement de l’extrême droite et de son langage sont anciennes et multiples. Si les médias dominants portent une responsabilité évidente dans ce processus de légitimation des thématiques réactionnaires et identitaires (un phénomène en pleine accélération sur les chaînes d’infos en continu, CNews en particulier), il convient de mesurer combien 30 années de durcissement autoritaire de l’État, de renforcement du nationalisme et du racisme, de reniements politiques de la gauche gouvernementale ont contribué à déplacer le champ du débat politique de plus en plus à droite.

Sans remonter jusqu’à Laurent Fabius et sa sortie en 1986 « L’extrême droite donne de fausses réponses à de vraies questions », la première phase de ce glissement du discours politico-médiatique grand public date de la décennie 1990. La contamination s’opère d’abord à droite avec une parole raciste qui se libère. On pense aux propos de Chirac en 1991 sur le bruit et l’odeur des immigrés ou encore l’assimilation la même année par Giscard de l’immigration à une invasion.

Parallèlement, débute la grande mue idéologique du PS qui va le conduire à partir du quinquennat Jospin à se perdre définitivement dans le consensus sécuritaire. Cette grande conversion n’empêchera nullement le désastre du 21 avril 2002.

La lente bascule

Si une partie de la gauche a déjà basculé (Chevènement), la véritable extension des domaines de l’extrême droite va s’opérer avec Sarkozy. Au ministère de l’Intérieur puis à l’Elysée, Il va tout à la fois extrêmiser le débat public (l’épisode du karcher…) et favoriser l’infusion des idées et du langage de l’extrême droite au sein de la droite républicaine (la tolérance zéro…). Cette stratégie lui permet dans un premier temps de siphonner un tiers des électeurs habituels du FN et d’être élu. Puis, la création du ministère de l’immigration et de l’identité nationale ainsi que son inclinaison pour la triangulation politique vont favoriser un brouillage évident des catégories et une perte des repères.

En avril 2012, Sarkozy lâche : « Le Pen est compatible avec la République ». Si l’expression fait alors polémique, neuf ans plus tard, elle ne choque plus personne à droite. Le parti LR n’en finit plus de s’interroger sur la stratégie à adopter pour contrer l’omniprésence du FN/RN : diaboliser, banaliser ou imiter ? Et Darmanin, ex-sarkozyste devenu ministre de l’Intérieur de Macron peut se permettre de juger la patronne du RN « trop molle ».

Les dernières digues ont sauté entre temps

Revenu au pouvoir, le PS adoptera pas moins de sept lois sécuritaires, inscrira dans la durée l’état d’urgence décrété au lendemain des attentats de novembre 2015 et finira de sombrer avec la tentative de Hollande d’imposer la déchéance de nationalité. La lente décomposition politique sur laquelle a surfé Macron en 2017 n’a nullement interrompu ce temps long de l’extrême droitisation, bien au contraire. Ce mandat présidentiel a d’abord été celui d’une boulimie législative restreignant les libertés publiques. Au-delà, une étape déterminante a été franchie avec la validation des obsessions identitaires de l’extrême droite par un pouvoir macronien désormais rallié à la lutte contre l’islamo-gauchisme, le séparatisme et le wokisme. Articulée autour d’un racisme décomplexé, désormais adossé à la théorie conspirationniste du grand remplacement, cette libération de la parole xénophobe apparaît sans fin tant elle bénéficie de puissants relais dans la sphère médiatique.

N’avançant désormais plus masquée, l’extrême droite a réussi à imposer des mots et des raisonnements qui jusque-là étaient inimaginables. Ce travail de sape politique et intellectuel entamé il y a plus de deux décennies a profondément impacté la droite et une partie de la gauche. Ces cinq dernières années auront fini de participer à la légitimation des figures et des idées de Le Pen et Zemmour qui, au-delà de la séquence électorale constituent deux tendances qui se renforcent mutuellement.

Vingt ans après le choc du 21 avril, les remparts se sont transformés en passerelles.

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