Un décryptage des programmes de l’extrême droite

jeudi 14 avril 2022, par Les Économistes atterrés

Cette note propose une analyse des programmes des deux principaux partis d’extrême droite (Rassemblement National et Reconquête) pour la présidentielle d’avril 2022.

Elle montre que ces programmes présentent de nombreux traits communs. On peut qualifier leurs propositions économiques de « néolibérales-nationalistes », puisqu’elles servent les intérêts des ménages aisés et des entreprises tout en se réclamant d’un « patriotisme » économique tourné contre les étrangers. Leurs propositions sociales ou sociétales sont quant à elles marquées par les obsessions de la « sécurité » (allant jusqu’à des formes de contrôle idéologique) et de la lutte contre l’immigration, ainsi que par l’absence totale de mesures concernant l’environnement.

Finalement, rien de vraiment nouveau sous le soleil de l’extrême droite ! Comme nous le disions déjà en 2017, « Marine Le Pen est tout sauf la candidate du peuple  ». Cela vaut aussi pour Éric Zemmour. Les différences (ténues) entre les deux candidat·es concernent la question des services publics (défendus du bout des lèvres par Marine Le Pen, menacés de destruction par Éric Zemmour) ou la ruralité (cheval de bataille d’Éric Zemmour, dans une conception loin d’être écologique et sociale).

Les deux programmes d’extrême droite sont disponibles en ligne. Celui de Marine Le Pen pour le Rassemblement National, intitulé « M La France », comporte 22 mesures assorties de propositions concrètes, complétées par plusieurs livrets sur des thématiques spécifiques (famille, défense, sécurité, santé, contrôle de l’immigration, tourisme, Outre-Mer). Le programme d’Éric Zemmour pour Reconquête prend la forme de 17 diapositives réparties en thèmes et complétées par des « visuels » sous forme d’infographies chiffrées. Depuis le 16 mars 2022, l’ensemble du programme est rassemblé sous la forme d’un document de 73 pages qui reprend les principales mesures et objectifs [1].

Introduction

Décrypter les programmes des candidat·es d’extrême droite n’est pas une chose aisée. D’abord parce que pendant la rédaction de cette note, les programmes étaient encore en construction. Ensuite, parce que la cohérence d’ensemble n’est pas toujours facile à trouver, ne serait-ce que parce que certaines propositions sont énoncées plusieurs fois, dans différentes rubriques (notamment dans le programme du candidat Éric Zemmour) ou parce que certaines mesures en recouvrent d’autres (les mesures de pouvoir d’achat, que les discours présentent comme destinées à soutenir les ménages modestes ou les classes moyennes, cachent très souvent des aides bénéficiant principalement ou exclusivement à des ménages aisés ou des aides aux entreprises).

Pour l’essentiel, les programmes s’articulent autour d’un projet néolibéral, qui sert les intérêts du patronat et des plus riches, souvent au détriment des salariés et des plus pauvres, et d’un projet xénophobe, qui imprime sa marque sur de nombreuses propositions de politique économique et sociale. On peut même dire que les deux partis d’extrême droite, dans leurs programmes respectifs, détournent la cause des désordres créés par le néolibéralisme non pas contre le néolibéralisme lui-même, mais contre l’immigration et les immigré·es, accusés de tous les maux. Ils prônent enfin une politique sécuritaire et des mesures de reprise en main idéologique de certains services publics qui sont de nature à renforcer l’emprise néolibérale tout en mettant à mal la démocratie.

Avant d’aborder le détail des propositions, nous reviendrons dans cette introduction sur ce qui constitue le cœur des programmes d’extrême-droite : le national-néolibéralisme et la xénophobie [2].

Derrière le leurre des « candidats du peuple » : un national-néolibéralisme au service des puissants

Les programmes économiques du RN et de Reconquête illustrent bien le ralliement des populismes d’extrême droite, en France comme ailleurs, à des formes de national-néolibéralisme, au service des ménages aisés et des entreprises [3]. Si Marine Le Pen entend comme en 2017 séduire les catégories populaires, c’est encore une fois en les trompant. Le Front national (FN, rebaptisé RN en 2018) avait mis en avant en 2017 quelques propositions sociales (comme la retraite à 60 ans pour les personnes ayant 40 annuités de cotisations) et des mesures de relance dans les domaines militaires et sécuritaires notamment. Mais pour l’essentiel son programme était au service des puissants, et c’est encore le cas en 2022 [4]. Quant à Éric Zemmour, son ciblage sur les catégories populaires est moins net et passe par des mesures de soutien au pouvoir d’achat, en direction notamment des automobilistes.

La référence à un « patriotisme économique » est fréquente dans les deux programmes. Dans celui de Marine Le Pen, ce patriotisme prend une forme différente d’il y a cinq ans. En 2017, la candidate proposait une sortie du carcan économique de l’Union européenne, assortie de mesures protectionnistes et d’une reprise en main de la création monétaire, dont elle faisait la clé du financement de bon nombre de ses propositions. En 2022, le patriotisme économique des programmes des deux partis d’extrême droite se recentre sur la réindustrialisation, non pas avec un projet de rupture par rapport aux politiques néolibérales actuelles, mais avec un projet largement inscrit dans leur prolongement. Il s’agit d’aider les entreprises pour les inciter à rester en France, en mobilisant des aides qui ont déjà montré leur inefficacité, et sans proposer de véritable stratégie industrielle (quelles activités industrielles pour répondre à quels besoins ?).

Pour les deux partis, le patriotisme économique, c’est aussi et surtout le principe xénophobe et discriminatoire de « priorité nationale » ou de « préférence nationale ». Ce dernier est fréquemment mobilisé dans les deux programmes pour priver les étrangers d’accès à certains droits économiques ou sociaux. Il s’agit en particulier de les exclure de certains emplois, du logement social ou étudiant et de certaines prestations sociales. Le patriotisme économique, c’est enfin des politiques natalistes, consistant à encourager les naissances dans les familles « françaises », à coup de mesures d’incitation monétaire à faire plus d’enfants.

Concernant les services publics, comme dans le programme du FN en 2017, les programmes de l’extrême droite en 2022 restent dans l’ambivalence. Alors que Reconquête tend à promouvoir la privatisation tous azimuts (y compris dans le secteur de la santé), celui du RN oscille entre nationalisation (des autoroutes) et privatisation (de l’audiovisuel). En matière de santé, il y a dans le programme de la candidate Le Pen un retournement : alors qu’il s’agissait, en 2017, de partir à la chasse à de prétendues « gabegies » dans l’Assurance maladie, le programme prend maintenant la défense de l’hôpital dans le contexte de la crise du Covid.

Les mythes xénophobes : « grand remplacement » et coût de l’immigration

Les programmes du RN et de Reconquête s’appuient sur des mythes propres à l’extrême droite : celui du « grand remplacement » et/ou celui du coût exorbitant de l’immigration [5].

Le premier mythe veut que l’immigration constitue un flux massif, propre à remplacer à la population française : c’est la thèse dite du « grand remplacement ». Cette thèse, qui a notamment été développée par l’écrivain d’extrême droite Renaud Camus dans un ouvrage au titre éponyme, soutient qu’une population venue d’Afrique se substituerait peu à peu à la population française. Cette notion de « grand remplacement », que la candidate Le Pen se refuse à employer, est volontiers mobilisée par les membres de son parti ; elle est largement reprise par le candidat Zemmour – et parfois par des candidat·es de droite, marquant un glissement de certains partis vers les extrêmes. Ce mythe d’un flux migratoire massif n’est pas conforté par les données démographiques, qui montrent au contraire que les mouvements de population ont toujours existé et que les flux migratoires sont assez stables (Encadré 1).

Le second mythe veut que les immigré·es prennent le travail des Français·es et/ou fassent pression à la baisse sur les salaires. Les études empiriques sur l’impact économique des migrations démentent ce mythe.

Encadré 1 – La France n’est pas une terre d’immigration massive

La migration n’est ni un phénomène nouveau ni un phénomène récent, en France comme dans le reste du monde.

Selon l’Insee [6], ces 15 dernières années, environ 250 000 immigré·es (nés étrangers à l’étranger) entrent en France chaque année, et environ 50 000 en sortent. À cela s’ajoutent les entrées et sorties des personnes non-immigrées (nées en France ou nées françaises à l’étranger), qui comptent pour environ 100 000 entrées et 200 000 sorties par an (ce dernier chiffre varie fortement selon les années). Au total, le solde migratoire de la France oscille autour de 100 000.

Notons que si les entrées d’immigré·es ont été un peu plus nombreuses entre 2015 et 2019, leur nombre a diminué en 2020. De nombreux pays ont en effet fermé leurs frontières en raison de la crise sanitaire, ce qui a limité les flux migratoires. Les entrées d’immigré·es en France auraient été autour de 215 000 (contre 272 000 en 2019), et celle des non-immigré·es de 68 000.
En 2021, toujours selon l’Insee, la France compte 10,3 % d’immigré·es (parmi lesquel·les 36 % ont acquis la nationalité française) et 7,7 % d’étranger·ères. La proportion d’étranger·ères en France est inférieure à la moyenne de l’Union européenne (7,6 % en France contre 8,2 % dans l’UE27 en 2020).

De nombreux travaux montrent par exemple que les flux migratoires ont un effet positif sur la croissance économique : la hausse du PIB est généralement proportionnelle à l’accroissement de la population : l’immigration stimule l’activité économique parce que les immigré·es contribuent à la vie économique du pays où ils et elles vivent. La plupart sont d’âge actif (15-64 ans) et viennent alimenter la population totale en âge de travailler. Non seulement ils « augmentent la production par tête dans les pays de l’OCDE », mais ils « améliorent les perspectives d’emploi des populations natives et immigrées » [7]. Loin de se substituer aux natif·ves dans l’emploi, ils et elles occupent, en France comme dans le reste des pays de l’OCDE, des emplois qui s’avèrent le plus souvent complémentaires à ceux des autres travailleur·ses [8]. En France, beaucoup arrivent avec un emploi ou une promesse d’embauche (immigration professionnelle). Quant aux entrant dans le cadre d’une immigration familiale, ils et elles s’insèrent souvent dans des métiers en tension [9], et sont, comme l’a révélé la crise sanitaire, très présent·es dans des métiers essentiels (aides à domicile, services de ménage aux entreprises, hôtellerie-restauration, etc.) mais dévalorisés. Enfin, si les immigrés sont exposés aux bas salaires, c’est aussi parce qu’ils et elles sont en butte au déclassement (dans des postes en deçà de leurs qualifications) et aux discriminations, sans qu’on puisse conclure qu’ils exercent une pression négative sur les salaires.

Les propositions de l’extrême droite pour limiter drastiquement l’immigration et l’accès à l’emploi des personnes de nationalité étrangère ne sont donc de nature ni à améliorer l’emploi ni à augmenter les salaires des Français·es. Elles entretiennent le fantasme d’une France terre d’immigration massive qui ne pourrait se permettre d’accueillir les nouveaux arrivants à cause du chômage. On est loin des réalités.

Le troisième mythe est celui d’un coût exorbitant de l’immigration, en raison de ce que l’extrême droite nomme les « pompes aspirantes » de la protection sociale. Ce terme, employé tant par Marine Le Pen que par Eric Zemmour, renvoie à une idée qu’on retrouve dans certaines théories économiques néoclassiques, selon laquelle les immigré·es, mus par le gain économique, choisiraient les États offrant les prestations sociales les plus généreuses, celles-ci agissant comme des « aimants sociaux » (« welfare magnets »). Cette hypothèse n’est pas confirmée par les études empiriques [10], qui concluent que si un tel phénomène existe, il est marginal en comparaison de l’attraction exercée par l’emploi [11]. Surtout, d’un point de vue macroéconomique, les études empiriques montrent que les immigré·es contribuent davantage au financement de la protection sociale qu’ils n’en bénéficient [12], un constat qui vaut aussi pour la France [13]. S’ils bénéficient de transferts liés à l’enfance et à la famille, ils bénéficient moins de ceux liés à la retraite et la maladie, car ils sont plus fréquemment jeunes, d’âge actif que les non-immigré·es. De manière générale, l’immigration a un effet faible et positif sur les finances publiques, et « l’idée selon laquelle les flux migratoires représentent globalement une charge pour les économies d’accueil OCDE n’est pas vérifiée empiriquement » [14]. Même les arrivées plus nombreuses d’immigrés demandeurs d’asile en Europe en 2015 n’ont pas eu d’impact budgétaire négatif : en quelques années, ils et elles ont pu contribuer à l’activité économique de leurs pays d’accueil respectifs [15].

Cette note, volontairement détaillée, commence par aborder les programmes économiques des deux candidat·es de l’extrême droite française, qui peuvent être qualifiés de néolibéraux-nationalistes (1). Elle s’intéresse ensuite aux mesures concernant la protection sociale, marquées par la « préférence nationale » et la hantise de la fraude sociale (2). Du côté des services publics, l’extrême droite oscille entre soutien opportuniste et reprise en main idéologique, et entre privatisation et maintien du rôle de l’État (3). Nous reviendrons ensuite sur deux obsessions de l’extrême droite : la sécurité d’une part (4) et l’immigration de l’autre (5). En revanche, l’environnement est, lui, le parent (très) pauvre des programmes des candidat·es d’extrême droite (6). On s’intéressera ensuite à une spécificité d’Éric Zemmour, dont le programme est marqué par l’accent mis sur la « ruralité » et un certain retour à la terre, avec une opposition affirmée entre les villes et les campagnes (7). Enfin, nous nous intéresserons aux mesures de l’extrême droite relatives à la politique étrangère (8), aux droits des femmes (9) et à la représentation démocratique (10).

1. Des programmes économiques néolibéraux-nationalistes

Les programmes du RN et de Reconquête sont des programmes néolibéraux au service du patronat et des ménages aisés. Il s’agit pour l’extrême droite d’orienter les dépenses publiques vers les plus riches et le patronat, en affirmant que cela incitera les entreprises et les ménages aisés à avoir les comportements espérés. L’objectif est de leur faire des cadeaux en affirmant qu’ainsi ils relocaliseront leurs activités ou leur fortune en France – une version nationaliste de la thèse du « ruissellement », qui a pourtant fait la preuve de son inanité lors du quinquennat d’Emmanuel Macron.

Cette orientation néolibérale des programmes d’extrême droite fait des mesures de pouvoir d’achat mises en avant par les candidat·es des promesses en trompe-l’œil, qui visent davantage à aider les entreprises qu’à soutenir le pouvoir d’achat de celles et ceux qui en ont besoin.

Les programmes d’extrême droite sont aussi des programmes nationalistes. Le « patriotisme économique » dont ils se revendiquent pour défendre toute une série de mesures [16] (protectionnistes, de relocalisation des activités industrielles, de soutien aux entreprises nationales ou aux ménages « Français » aisés, mais aussi d’exclusion des étrangers) leur tient d’ailleurs lieu de stratégie économique générale. Mais cette stratégie s’avère incapable de répondre aux enjeux industriels et environnementaux d’aujourd’hui – que les deux candidat·es s’emploient, comme on le verra, à minimiser.

Aucun des deux programmes ne comporte de réel projet industriel, de mesure ambitieuse de création d’emplois, et encore moins de programme de lutte contre la précarité et la pauvreté ou de programme de transition environnementale. Bref, ces programmes ne répondent pas aux problématiques économiques, sociales et environnementales actuelles.

Le soutien au patronat et aux entreprises… au nom du pouvoir d’achat

En prévoyant de nouvelles dépenses publiques en faveur des entreprises, les programmes d’extrême droite se situent dans la continuité d’une politique néolibérale de l’offre qui s’est imposée ces 40 dernières années, à droite bien sûr comme par exemple pendant le quinquennat d’Emmanuel Macron, mais aussi au parti socialiste pendant le quinquennat de François Hollande.

Les mesures en faveur des entreprises peuvent se loger où on ne les attend pas, et en particulier dans les mesures de pouvoir d’achat qui se révèlent être un fourre-tout permettant de justifier des dépenses publiques dont la finalité n’est pas le pouvoir d’achat. L’inscription des mesures de pouvoir d’achat dans une politique de l’offre en fait d’ailleurs des mesures ambivalentes, peu pertinentes pour augmenter le pouvoir d’achat des salarié·es qui en ont besoin.

Dans le programme de la candidate du Rassemblement national (RN), il n’y a pas à proprement parler de mesures pour les entreprises ; mais c’est au détour d’une mesure de pouvoir d’achat visant la hausse des salaires qu’apparaît l’aide aux entreprises, sous la forme d’une nouvelle baisse des cotisations patronales. La hausse des salaires est elle-même incertaine, subordonnée au bon vouloir des employeurs : il s’agit en effet de « permettre aux entreprises d’augmenter les salaires de 10 % en les exonérant de cotisations patronales (pour les salaires allant jusqu’à 3 fois le Smic) ». Une telle mesure, en offrant aux employeurs de profiter d’exonérations de cotisations allant jusqu’à des niveaux de salaire élevés, pourrait mettre en cause à terme l’équilibre de la Sécurité sociale. Notons que les effets sur les salaires sont incertains, la mesure n’étant pas contraignante, et ne précisant d’ailleurs pas si les exonérations sont réservées aux entreprises qui revalorisent effectivement les salaires.

Candidate du RN

Mesure 5 - Permettre aux entreprises d’augmenter les salaires de 10 % en les exonérant de cotisations patronales (pour les salaires allant jusqu’à 3 fois le Smic).

Cette mesure d’exonération de cotisation s’inscrit dans la continuité des mesures néolibérales dites « d’allègement de charges » [17] qui ont fleuri ces 30 dernières années, à un coût exorbitant pour les finances publiques. D’après les évaluations, ces mesures ont eu un effet marginal, tant sur les créations d’emploi que sur la compétitivité [18]. Elles sont de plus loin de favoriser le pouvoir d’achat car elles engendrent des effets dits de « trappes à bas salaires ». En effet, les seuils d’exonération renchérissent le coût des promotions et peuvent dissuader les employeurs d’en accorder. Il est enfin probable que les baisses de cotisations patronales alimentent la croissance des dividendes – mais cet effet n’est pas documenté par les évaluations. Aujourd’hui, les employeurs bénéficient déjà d’une exonération générale des cotisations patronales sur les rémunérations comprises entre le Smic et 1,6 Smic, avec un taux d’exonération décroissant à mesure que le salaire augmente. Depuis 2019, avec la conversion du Crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) en baisse de cotisation, ils bénéficient d’une réduction additionnelle allant jusqu’à 2,5 fois le Smic. Compte tenu des exonérations déjà importantes au niveau du Smic, la mesure proposée par le RN devrait (sous l’hypothèse qu’elle parvienne à convaincre les employeurs d’augmenter les salaires) concerner surtout des salaires nettement supérieurs au Smic. Si Marine Le Pen avait souhaité revaloriser les bas salaires, elle aurait décidé d’augmenter le Smic. On ne peut ainsi pas dire que le programme du RN vise prioritairement une revalorisation des salaires du bas de l’échelle.

Le programme économique du candidat de Reconquête se limite quant à lui à deux fiches (« entreprises » et « pouvoir d’achat ») ainsi qu’à une série de graphiques censés illustrer la mauvaise situation de la France relativement à ses voisins européens ainsi que le « poids » des étrangers hors Union européenne, sans évoquer leur contribution à l’économie. Les deux fiches en question listent une série de mesures qui sont pratiquement toutes des mesures de soutien au patronat.

Le programme du candidat de Reconquête, dans son volet néolibéral, multiplie ainsi les faveurs aux entreprises : réduction des impôts de production (chiffrée à 30 milliards d’euros), réduction de l’impôt sur les sociétés pour les petites entreprises, « simplification des démarches administratives pour les entrepreneurs ». Ces mesures n’ont rien de novateur, elles s’inscrivent dans la continuité de ce qu’a fait le gouvernement actuel [19]. À cela s’ajoute la suppression des droits de succession pour les entreprises familiales ainsi que d’autres aides aux entreprises présentées comme des mesures de pouvoir d’achat pour les salariés.

Candidat de Reconquête

Programme entreprises
- Restaurer la compétitivité de nos entreprises
Réduire les impôts de production de 30 milliards d’euros supplémentaires
Baisser le taux d’impôt sur les sociétés à 15 % pour les petites entreprises, les artisans, les commerçants, les agriculteurs
Simplifier les démarches administratives pour les entrepreneurs
- Refaire de la France une grande puissance industrielle
Créer des zones franches industrielles dans les régions durement touchées par la désindustrialisation
Créer un grand fonds souverain alimenté par les fonds du livret A pour investir dans nos entreprises
Protéger nos entreprises en élargissant le contrôle des investissements étrangers à tous les secteurs
- Favoriser la production française
Fin des droits de donation et de succession pour la transmission d’entreprises familiales
Obliger la commande publique à privilégier les produits français
Mettre en place un Patrie-score pour indiquer clairement au consommateur la provenance française d’un produit

Le candidat Zemmour propose une hausse des salaires sous une forme assez proche de celle proposée par son homologue du RN, quoique plus ciblée sur le Smic. Là encore, la hausse des salaires ne coûterait rien aux employeurs (il s’agit d’« augmenter le salaire net des travailleurs modestes, jusqu’à plus de 100€ par mois pour un travailleur au Smic, grâce à la baisse des impôts sociaux »). Il s’agirait en fait vraisemblablement de diminuer la Contribution sociale généralisée (CSG), en oubliant que celle-ci est nécessaire pour financer les prestations sociales [20]. À cette hausse des salaires par la baisse des cotisations s’ajoutent une série de mesures de défiscalisation (de la prime de participation, des heures supplémentaires, etc.) destinées à permettre aux entreprises de verser à leurs salarié·es une part toujours plus grande de rémunérations défiscalisées ou « désocialisées ».

Candidat de Reconquête

Programme pouvoir d’achat
- Soutenir les travailleurs
Augmenter le salaire net des travailleurs modestes, jusqu’à plus de 100€ par mois pour un travailleur au Smic, grâce à la baisse des impôts sociaux
Défiscaliser complètement la prime de participation (environ 1 500€ par an) pour les salariés et les employeurs, la rendre obligatoire dans les entreprises de plus de 11 salariés
Faire rembourser par les entreprises 50 % des frais de carburant de leurs salariés pour leur trajet domicile-travail
Exonérer totalement d’impôts et de charges sociales les heures supplémentaires
- Mettre fin à la redevance audiovisuelle
Supprimer la redevance audiovisuelle (138€/an par foyer) grâce à la privatisation des principales chaînes de l’audiovisuel public
- Soutenir les familles et encourager la natalité
Revenir à l’universalité des allocations familiales, qui ne doivent plus être versées sous conditions de ressources
Doubler le plafond du quotient familial

Le volet nationaliste du programme du Candidat de Reconquête comprend deux mesures. La première est une mesure d’affichage de la provenance des produits à l’aide d’un « Patrie-score », pour inciter à consommer français. La seconde est une mesure de préférence nationale dans la commande publique. Cette seconde mesure est d’ailleurs inapplicable en l’état car contraire au droit français et européen. Surtout, elle manifeste une ignorance des pratiques réelles de l’État et des collectivités territoriales : ces dernières disposent déjà de moyens légaux pour favoriser les entreprises locales dans les critères d’attribution (critères de qualité, référence aux traditions, ou encore exigence de circuits courts).

Les deux programmes d’extrême droite restent flous sur le coût et le financement des mesures de baisse des cotisations (ou des taxes) sociales (voir encadré 2). S’il s’agit de remettre en cause notre système de protection sociale, cela fait partie des non-dits des deux candidat·es [21]. Rappelons qu’en 2019, les « mesures générales d’allègement du coût du travail » représentaient déjà plus de 60 milliards d’euros de dépenses pour l’État [22], un coût considérable. L’extension de ce type de mesure implique de nouvelles dépenses de l’État en faveur des entreprises. En effet, lorsque les entreprises ou les salariés sont exonérés d’impôts ou de cotisations, ce sont des dépenses pour l’État qui compense (au moins en partie) le manque à gagner. Rappelons que dans le système français, les cotisations sociales payées par les employeurs (tout comme celles payées par les salariés) financent les assurances sociales (maladie, maternité, invalidité, décès, vieillesse), les allocations familiales, les accidents du travail et maladies professionnelles, l’aide au logement, l’assurance chômage, etc.). La réduction des cotisations sociales est susceptible de procurer aux employeurs un bénéfice immédiat, mais elle représente à la fois une dépense pour l’État et une menace pour le financement de la protection sociale des salarié·es. On peut dire sans forcer le trait qu’elle hypothèque leur pouvoir d’achat futur.

Encadré 2 – Quel chiffrage des programmes des candidat·es d’extrême droite ?

Marine Le Pen ne propose pas (à l’heure où nous écrivons ces lignes [23]) de chiffrage de son programme présidentiel (à l’exception de quelques mesures).

Éric Zemmour, de son côté, a publié le 16 mars 2022 un document de 73 pages précisant son programme, dont la fin (à partir de la page 67) concerne « La Reconquête chiffrée et financée ». L’exercice de chiffrage s’avère en réalité très décevant, car il n’explique pas la manière dont les montants présentés (peu détaillés) sont calculés. Le candidat commence par affirmer que son projet « consiste à taxer moins pour gagner plus », ce qui l’inscrit dans la lignée d’une tradition néolibérale attachée à l’adage « trop d’impôt tue l’impôt » de la célèbre courbe de Laffer. Un adage dont de nombreux travaux économiques (comme ceux de l’économiste Thomas Piketty) ont montré qu’il n’est pas vérifié empiriquement.

Les éléments présentés par Éric Zemmour sur les « coûts des mesures » suggèrent que l’ensemble des allègements sociaux et fiscaux pour les ménages et les entreprises reviendrait à « 64 milliards d’euros de coût brut » (28 milliards d’euros de baisses d’impôts pour les ménages et 36 milliards de baisses d’impôts pour les entreprises). Ces « allègements » conduiraient, selon le candidat, à une hausse du pouvoir d’achat et donc de la consommation. Le candidat en attend plus de recettes de TVA et d’impôts sur les entreprises, et moins de dépenses de l’État en matière d’aides aux entreprises. Ainsi, comme par magie, le coût « net » estimé de ces allègements sociaux et fiscaux est ramené dans le programme de Reconquête à… 28 milliards d’euros (au lieu de 64). Cette estimation, spéculative, sinon fantaisiste, semble avoir été rédigée sur un coin de table et n’est assortie d’aucun calcul économique sérieux.

Rappelons également que la TVA, censée rapporter plus à l’État du fait de gains de pouvoir d’achat issus notamment de la suppression des droits de succession pour 95 % des Français·es, est un impôt très inégalitaire car il ne prend pas en compte la structure du revenu et touche l’ensemble des contribuables de la même façon.

En ce qui concerne le « renforcement des moyens des politiques prioritaires », celui-ci est estimé à 32 milliards d’euros, investi dans les champs de la justice (et surtout de la prison), de la politique familiale, de l’hôpital. Là encore, le calcul de ces 32 milliards n’est pas explicité.

Le chiffrage du programme de Reconquête contient également des éléments sur le financement des mesures. Quatre sources sont envisagées : la « suppression des prestations non contributives pour les étrangers extra-européens » (censée générer 20 milliards d’euros par an) ; les « économies sur le budget de l’État » (censées générer 15 milliards d’euros par an, avec en particulier la suppression des bourses pour les étudiant·es absentéistes [24], mais aussi la réduction de moitié de l’aide publique au développement, la réduction des dépenses du ministère de la culture et d’autres ministères « non régaliens ») ; les « économies sur le budget des collectivités locales en luttant contre la bureaucratie et les doublons créés par la décentralisation » (censées générer 15 milliards d’euros par an, avec notamment la fin du partage de compétence et la suppression des « doublons » et des « triplons ») ; la « lutte contre la fraude sociale et contre l’optimisation fiscale » (censée générer 15 milliards d’euros par an, en particulier, voire surtout, avec des mesures contre la fraude sociales [25]). Finalement, l’ensemble de ces économies reviendrait à 65 milliards d’euros par an, ce qui correspond (ô miracle !) aux coûts annoncés précédemment.

Sur la méthode, ce chiffrage du programme présidentiel apparaît relever de pures spéculations. Sur le fond, il s’inscrit dans l’ensemble de la vision d’Éric Zemmour : programme néolibéral, nationaliste, favorable aux plus riches par ses nombreuses mesures de baisses d’impôts, obsédé par la « fraude sociale », la « bureaucratie » et les personnes étrangères.

Candidat·es des riches (français·es) et des propriétaires fonciers

Nos deux candidats d’extrême droite sont sans conteste des candidats Présidents des riches : derrière l’affichage de quelques (rares) mesures qui pourraient concerner les catégories modestes, on trouve surtout des mesures s’adressant à des ménages aisés.

Dans le programme de la candidate du RN, ces mesures se situent notamment dans les rubriques 16 « Supprimer l’IFI », 17 « Favoriser l’accès à la propriété (…) » et 8 « Soutenir les familles françaises ».

Ces mesures du RN, sous couvert de soutien aux familles, prennent notamment la forme de réductions des droits de succession et de donations : il s’agit de « supprimer les impôts sur l’héritage direct pour les familles modestes et les classes moyennes » et d’« exonérer les donations des parents mais aussi des grands-parents à leurs enfants et petits-enfants jusqu’à 100 000 € par enfant tous les dix ans ». Certes, s’agissant des successions, les termes désignent les « familles modestes » et les « classes moyennes ». Mais quelles familles modestes peuvent léguer ainsi des centaines de milliers d’euros à leurs enfants tous les dix ans ? Il est clair que les familles les plus aisées seraient les grandes gagnantes de ces mesures. C’est d’autant plus vrai que le droit actuel des donations et successions prévoit déjà d’importantes exonérations : chaque enfant peut bénéficier tous les 15 ans d’une exonération pour un don de 100 000 € de chacun de ses parents, et de 31 865 € s’il s’agit d’un grand-parent. Sachant que les dispositions existantes permettent déjà de transmettre un patrimoine conséquent sans payer d’impôts, la mesure du RN n’exonèrerait les transmissions que pour les catégories disposant d’un patrimoine élevé ! Une autre mesure de « soutien » aux familles aisées est la mise en place d’une « part fiscale complète dès le deuxième enfant » : cette mesure ne bénéficierait qu’aux familles de deux enfants ou plus qui sont imposables, et ce sont encore les familles les plus aisées qui en tireraient le plus de bénéfices. Compte tenu de l’intitulé de la rubrique, ces mesures pourraient de surcroît être discriminatoires si elles étaient réservées, comme le discours le suggère, aux « familles françaises ».

Candidate du RN
Mesure 8 - Soutenir les familles françaises.
- Instituer une part fiscale complète dès le deuxième enfant.
- Doubler le soutien aux mères isolées élevant des enfants tout en renforçant les contrôles pour éviter les fraudes.
- Créer un prêt à 0 % pour les jeunes familles françaises transformé en subvention pour les couples qui auront un 3e enfant.
- Construire en cinq ans 100 000 nouveaux logements étudiants.
- Supprimer les impôts sur l’héritage direct pour les familles modestes et les classes moyennes.
- Exonérer les donations des parents mais aussi des grands-parents à leurs enfants et petits-enfants jusqu’à 100 000€ par enfant tous les dix ans.

Mesure 16 - Supprimer l’IFI qui taxe l’enracinement et créer un IFF, impôt sur la fortune financière, pour taxer la spéculation.

Mesure 17 - Favoriser l’accès à la propriété et au logement des Français.
- Construire 100 000 logements sociaux par an dont 20 000 en faveur des étudiants et jeunes travailleurs.
- Lancer un plan de réhabilitation de l’habitat ancien grâce à des aides efficaces.
- Créer un Fonds de Garantie des Loyers pour protéger les propriétaires.

Par ailleurs, plusieurs mesures de la candidate Le Pen apportent un soutien financier aux propriétaires fonciers. La suppression de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) pour favoriser « l’enracinement » et son remplacement par un impôt sur la fortune financière (proposition non chiffrée), mais aussi l’annonce d’« aides efficaces » pour la réhabilitation des logements anciens et la création d’un Fonds de garantie des loyers pour « protéger les propriétaires » (mesure 17). Si la mise en place d’un impôt sur la fortune financière est susceptible de toucher des ménages aisés, la proposition n’est pas chiffrée, ce qui suggère qu’il s’agit d’une mesure symbolique. Par ailleurs, si un Fonds de garantie des loyers peut permettre aux propriétaires de louer leurs logements à des ménages modestes, la proposition ne mentionne pas ce type de ciblage. Dans l’ensemble, on cherchera en vain les « aides efficaces » dans le programme du RN pour aider les familles locataires à se loger dignement et à un loyer abordable.

Dans le programme du candidat de Reconquête, les mesures de soutien aux ménages aisés se trouvent dans sa fiche « pouvoir d’achat », sous une rubrique intitulée « Soutenir les familles et encourager la natalité ». Le candidat y défend une politique familiale nataliste à l’ancienne, soutenant surtout les familles aisées : d’une part par le rétablissement de « l’universalité des allocations familiales » permettant de lever les conditions de ressources qui réduisent ou suppriment ces allocations pour les familles aisées, et d’autre part par le doublement du « plafond du quotient familial », une mesure qui bénéficierait là encore surtout aux familles aisées. Enfin, dans sa fiche « entreprises », on trouve une mesure de suppression « des droits de donation et de succession pour la transmission d’entreprises familiales », qui là encore pourrait surtout bénéficier aux ménages aisés.

Dans les programmes des deux candidat·es d’extrême droite, la subversion néolibérale du langage économique atteint son paroxysme : derrière les mesures de pouvoir d’achat, on trouve souvent des aides aux entreprises, derrière les mesures d’aide aux familles modestes, ce sont des avantages accordés aux ménages aisés, etc.

Les mesures jeunes proposées par la candidate du RN sont un cas d’école.

Les mesures « jeunes » de Marine Le Pen, pour les jeunes favorisés

Les mesures pour les jeunes proposées par la candidate du RN traduisent la volonté de cibler ce public, mais d’une manière qui tend à renverser les priorités des politiques de l’emploi. Dans un fatras de mesures jeunes, allant des réductions d’impôt à la gratuité des transports aux heures creuses, en passant par les primes aux étudiant·es qui travaillent ou aux jeunes en alternance (et à leurs employeurs), on trouve surtout des mesures néolibérales destinées à aider les jeunes de milieu aisé... et un discours nationaliste qui justifie cette aide par le souci de maintenir en France les jeunes talents (riches ou entrepreneurs).

Contrairement aux mesures jeunes classiques, qui se concentrent sur les jeunes en difficulté, plusieurs propositions de la candidate RN ciblent les jeunes aisés, au motif qu’il faudrait les retenir de partir à l’étranger (l’argument n’est pas mobilisé pour les autres jeunes que la candidate ne semble pas vouloir retenir en France) : « exonérer d’impôt sur le revenu tous les jeunes actifs jusqu’à 30 ans pour qu’ils restent en France et fondent leur famille chez nous », « supprimer l’impôt sur les sociétés pour les entrepreneurs de moins de 30 ans pendant les 5 premières années pour éviter leur départ à l’étranger  ».

Candidate du RN

Mesure 7 - Encourager les projets des jeunes et leur entrée dans la vie active.
- Créer un chèque-formation mensuel de 200 à 300€ pour les apprentis, les alternants et leurs employeurs.
- Exonérer d’impôt sur le revenu tous les jeunes actifs jusqu’à 30 ans pour qu’ils restent en France et fondent leur famille chez nous.
- Supprimer l’impôt sur les sociétés pour les entrepreneurs de moins de 30 ans pendant les 5 premières années pour éviter leur départ à l’étranger.
- Verser un complément de salaire de 200 à 300€ pour les jeunes qui travaillent durant leurs études et valident leurs examens.
- Instituer la gratuité des transports aux heures creuses pour les 18-25 ans plutôt que de faire rouler des trains à moitié vide.
- Instituer la gratuité des transports aux heures creuses pour les 18-25 ans.

Concernant les jeunes en insertion, les mesures de soutien se focalisent sur l’apprentissage et l’alternance. Mais derrière les aides aux jeunes (200 à 300 €) se cachent des aides aux employeurs (d’un même montant). S’agissant des étudiant·es, c’est un mélange de principe méritocratique et de « travailler plus pour gagner plus » qui prévaut : les seules cibles de l’aide sont les étudiant·es « qui travaillent » et « valident leurs examens ». On peut se demander si cela veut dire que les jeunes attendent de valider l’examen pour être aidés, ou s’ils sont aidés pendant leurs études au risque de devoir rembourser en cas d’échec.

Enfin, la dernière proposition, la gratuité des transports aux heures creuses pour les jeunes, semble mise en avant simplement parce qu’elle ne mange pas de pain, sans découler d’aucune réflexion sur leurs usages concrets des transports. Les jeunes ne prennent-ils les transports qu’aux heures creuses ? Pourquoi ne pas leur accorder tout simplement la gratuité des transports ou des abonnements moins chers ?

Un « patriotisme économique » sans stratégie face aux défis industriels et écologiques

En matière industrielle, les deux programmes d’extrême droite mettent en avant leur « patriotisme économique » (terme utilisé dans le programme de la candidate Le Pen) pour réindustrialiser le pays. Mais derrière les grands mots, on trouve beaucoup de flou, et encore des mesures néolibérales.

Candidate du RN

Mesure 18 - Mettre en place le patriotisme économique pour réindustrialiser et produire les richesses en France.
- Donner la priorité aux PME pour les marchés publics.
- Conditionner les subventions à la création d’emplois au titre d’une politique d’aménagement du territoire.
- Supprimer la Cotisation foncière des entreprises (CFE) qui pénalise les PME-TPE locales et les impôts de production qui nuisent à la relocalisation.
- Protéger notre économie de la concurrence déloyale et revoir les accords de libre-échange qui ne respectent pas les intérêts de la France.

Mesure 19 Créer un « fonds souverain français » pour augmenter la rémunération de l’épargne des Français et l’orienter vers des secteurs stratégiques et l’innovation.

Dans le programme de la candidate du RN, la politique de réindustrialisation mise surtout sur des mesures néolibérales d’aide aux entreprises sans nouveauté et n’ayant pas démontré d’efficacité. Outre le soutien aux petites et moyennes entreprises (PME) [26], qui se verraient accorder une « priorité » dans l’accès aux marchés publics, les propositions misent sur des avantages fiscaux (suppression de « la cotisation foncière des entreprises (CFE)  » et des « impôts de production ») pour inciter les entreprises à la « relocalisation ». Ces mesures sont énoncées comme si le principal facteur des délocalisations ou des relocalisations résidait dans la fiscalité des entreprises (plutôt que dans la demande locale, les infrastructures, les qualifications de la main-d’œuvre, etc.) et comme si les cadeaux aux entreprises avaient toutes les vertus (créer des emplois, encourager la hausse des salaires, les relocalisations, etc.) [27].

La politique de réindustrialisation prévoit, en contrepartie des aides, des mesures de régulation de l’activité économique. Ces mesures, qui paraissent inspirées de programmes de gauche, demeurent opaques. Par exemple, « conditionner les subventions à la création d’emplois  » à « une politique d’aménagement du territoire » est une proposition particulièrement floue, l’aménagement du territoire ne relevant pas des compétences des entreprises. D’autres mesures, protectionnistes passant par la renégociation des accords de libre-échange (« protéger notre économie de la concurrence déloyale et revoir les accords de libre-échange qui ne respectent pas les intérêts de la France ») sont évoquées, mais sans aucune précision sur la définition des « intérêts de la France  » en question ni sur la manière dont les accords devraient être renégociés. Enfin, le programme prévoit la création d’un « fonds souverain français » qui à la fois rémunérerait « l’épargne des Français » (riches) et l’orienterait « vers des secteurs stratégiques et l’innovation ». Mais rien n’est dit sur ces secteurs stratégiques (lesquels ? et dans quel but ?) dont le pays aurait besoin, si bien qu’il est impossible de saisir le contenu de la politique de réindustrialisation voulue par le RN. Les seules indications qui figurent dans son programme permettent d’identifier comme secteurs stratégiques la santé (il s’agit d’« investir dans les technologies de santé » et de relocaliser en France « la fabrication des médicaments »), le nucléaire et l’armée (dont le budget, de 41 milliards aujourd’hui, serait porté à 55 milliards) – ce dernier secteur étant un marqueur de l’extrême droite.

Le programme de Reconquête ressemble à celui du RN, avec toutefois un discours nationaliste plus affirmé. Mais derrière les grands mots (« Refaire de la France une grande puissance industrielle ») se cachent de petites mesures, sans nouveauté ni efficacité.

Le volet néolibéral du programme industriel du candidat Zemmour mise sur les cadeaux aux entreprises pour restaurer leur compétitivité. Sa vision réduit la compétitivité des entreprises (en réalité essentiellement liée à la qualité et l’innovation) à une compétitivité par les coûts (essentiellement salariaux). Elle l’empêche de penser une stratégie industrielle innovante et le conduit à défendre une politique visant à alimenter les profits plus que l’innovation. Par ailleurs, le candidat entend, pour réindustrialiser le pays, s’appuyer sur la création de « zones franches industrielles » dans les territoires désindustrialisés : il s’agit encore de mettre en place des avantages fiscaux afin d’attirer les investissements industriels. Mais miser sur des incitations monétaires pour faire surgir des activités industrielles dans les territoires délaissés relève de la pensée magique, comme si quelques avantages fiscaux supplémentaires pouvaient tenir lieu de politique industrielle. Rien n’est dit sur les activités industrielles dont ces territoires ont besoin, ni sur la nécessaire régulation écologique des activités industrielles.

Le volet nationaliste du candidat de Reconquête réside dans la proposition de généraliser le contrôle des investissements étrangers « à tous les secteurs ». Notons qu’aujourd’hui, la procédure de contrôle de ces investissements en France, dite IEF, concerne les activités qui engagent la défense nationale ou l’ordre public, ainsi que celles considérées comme essentielles aux intérêts du pays. Ce contrôle a été un peu étendu pendant la crise sanitaire, par une diminution du seuil de prise de participation dans les entreprises cotées ayant des activités dites « sensibles » (seuil de détention de 10 % des droits de vote, contre 25 % auparavant) et par une extension au secteur des biotechnologies. L’affichage d’une extension du contrôle à l’ensemble des secteurs économiques paraît traduire davantage un nationalisme économique tous azimuts qu’une stratégie industrielle pour répondre à des besoins identifiés.

Ajoutons que dans le programme du candidat de Reconquête, l’industrie peut aussi servir de prétexte à la remise en cause de la protection sociale : ainsi, le candidat prévoit de détourner les fonds du Livret A qui servent à financer le logement social et le renouvellement urbain (et répondent à de réels besoins sociaux) vers l’industrie, sans indiquer à quoi précisément ces fonds seront affectés.

2. Protection sociale : vernis social et lutte contre les pauvres et les étrangers

En matière de protection sociale, les programmes de l’extrême droite prévoient le plus souvent des mesures non chiffrées, formulent des propositions souvent imprécises visant à donner un vernis social à leur programme, et manifestent des obsessions pour l’exclusion des étrangers et la lutte contre la « fraude sociale ».

Retraites, dépendance, handicap : soutien aux « compatriotes » méritant·es

La candidate du RN concentre son programme social sur les retraites, la dépendance et le handicap. On peut penser qu’il s’agit d’élargir son électorat en répondant à des demandes sociales tout en conservant la référence à la « priorité nationale ». Le programme concentre son soutien sur la pauvreté considérée comme « méritante », c’est-à-dire sur celles et ceux qui ne peuvent gagner leur vie par leur travail, que ce soit en raison de leur âge ou de leur situation de handicap. En revanche, il stigmatise les pauvres d’âge actif que leur situation identifie comme « employables »… et les étranger·es.

S’agissant des retraites, la candidate propose de les « ré indexer (…) sur l’inflation ». Une telle mesure, qui permettrait de rétablir un principe de continuité des revenus au cœur de notre système de retraites, bénéficierait surtout à des ménages relativement aisés puisque les pensions inférieures à 2000 euros mensuels ont été moins concernées ces dernières années par la sous-indexation. Le programme de la candidate prévoit cependant une revalorisation des « petites retraites » (sans autre précision), ainsi qu’une petite augmentation de l’Aspa (minimum vieillesse) qui atteindrait les 1000 euros (contre 906 aujourd’hui pour une personne seule). La retraite à 60 ans que le Rassemblement national annonçait est finalement réservée à celles et ceux qui ont « commencé à travailler avant 20 ans » et totalisent au moins 40 annuités. Le seul autre engagement de la candidate est de ne pas accepter d’« allongement de l’âge de départ à la retraite ». Enfin, le programme prévoit de rétablir la demi-part fiscale pour les veufs et veuves (celle-ci étant aujourd’hui essentiellement réservée aux veuves et veufs ayant encore des enfants à charge ou ayant élevé seul·e un enfant).

Deux mesures concernent la prise en charge de la dépendance des personnes âgées en Ehpad : la mise en place d’un « droit opposable » aux visites (en réaction aux mesures prises pendant la crise sanitaire) et la hausse (non chiffrée) de « la présence de personnel médical ».

Candidate du RN

Mesure 9 - Garantir à nos aînés une retraite sereine et digne.
- Ré indexer les retraites sur l’inflation pour un pouvoir d’achat respectueux d’une vie de travail.
- Revaloriser le minimum vieillesse à 1 000 € par mois et augmenter les petites retraites.
- Refuser tout allongement de l’âge de départ à la retraite.
- Permettre à ceux qui ont commencé à travailler avant 20 ans pendant 40 annuités de prendre leur retraite à 60 ans.
- Restaurer la demi-part fiscale en faveur des veuves et veufs.
- Créer un droit opposable aux visites dans les établissements et accroître fortement la présence de personnel médical dans les Ehpad.

Mesure 10 - Assurer enfin les droits de nos compatriotes en situation de handicap.
- Déconjugaliser et revaloriser l’Allocation Adultes Handicapée.
- Lancer un grand plan sur l’accès à la scolarité pour les enfants touchés par le handicap.
- Appliquer la loi sur l’accès à tous les lieux et transports publics.
- Revaloriser et augmenter la durée des aides destinées aux proches aidants.

S’agissant du handicap, le programme reprend une revendication d’associations de personnes en situation de handicap : la revalorisation (non chiffrée) et la déconjugalisation de l’AAH (Allocation aux adultes handicapés). Il s’agit d’éviter que des personnes en situation de handicap ne perdent leurs droits à l’allocation du fait de la mise en couple et de la prise en compte des revenus du conjoint. Compte tenu de l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes, cette mesure bénéficierait principalement à des femmes en couple [28]. À cette mesure s’ajoute une autre (non chiffrée) de revalorisation et d’allongement des aides aux proches aidant·es. Deux autres propositions sont floues car leur formulation très générale ne prévoit rien de précis pour atteindre les objectifs affichés (« lancer un grand plan sur l’accès à la scolarité pour les enfants touchés par le handicap » et « appliquer la loi sur l’accès à tous les lieux et transports publics  »).

S’agissant de l’accès aux minima sociaux et aux prestations familiales, le programme de la candidate du RN s’avère ambivalent et discriminatoire. Deux mesures de la rubrique 8 (voir plus haut) concernant la politique familiale, et plus précisément le soutien aux « familles françaises ». Ces mesures peuvent bénéficier à des foyers modestes, mais sont présentées de manière stigmatisante et vraisemblablement discriminatoire. La première de ces mesures est le doublement annoncé du « soutien aux mères isolées ». Une telle mesure est de nature à répondre au défi de la pauvreté à laquelle sont très exposés les enfants de familles monoparentales [29]. Mais elle s’accompagne d’une mesure de renforcement des contrôles « pour éviter les fraudes » qui peut faire craindre un taux élevé de non-recours ou des sanctions pour les mères seules lorsqu’elles ont un partenaire – quand bien même il ne contribuerait pas à l’entretien du foyer monoparental. La seconde mesure est une aide aux familles sous forme de prêt à taux zéro, qui s’avère doublement discriminatoire : réservée aux « jeunes familles françaises », elle exclurait celles qui ne sont pas jeunes (les couples dont la moyenne d’âge est supérieure ou égale à 30 ans, comme il est indiqué dans la fiche « M Les jeunes ») ou pas françaises (s’il n’y a pas au moins un·e Français·e dans le couple). Cette aide serait assortie d’une forme de bonus nataliste, consistant à convertir en don la partie du prêt qui n’aura pas encore été remboursée pour ces familles à l’arrivée du « troisième enfant ».

Les mesures discriminatoires se concentrent sur les « aides sociales » et sont surtout mises en avant par la candidate pour « arrêter l’immigration incontrôlée ». Elle entend en effet « réserver les aides sociales aux Français et conditionner à 5 années de travail en France l’accès aux prestations de solidarité ». On retrouve ici l’obsession des « pompes aspirantes » de la protection sociale. Ainsi, les ménages immigrés, alors même qu’ils sont de manière générale contributeurs nets au financement de la protection sociale, devraient attendre cinq ans pour bénéficier par exemple de l’aide au logement (APL) ou de l’Allocation aux adultes handicapés (AAH) [30]. De la même manière, une « priorité nationale » s’appliquerait pour l’accès à l’emploi. Ces mesures aggraveraient les discriminations dont sont victimes bon nombre d’étranger·es, avec une double peine pour les chômeur.ses, le projet de la candidate prévoyant de « renvoyer tout étranger n’ayant pas travaillé depuis un an en France ». Au total, les mesures d’aide sociale de la candidate du RN ne sont pas conçues pour lutter contre la pauvreté mais pour lutter contre l’immigration !

De la hantise de la fraude sociale à la croisade de Zemmour contre les pauvres et les étrangers

Les deux programmes des candidat·es d’extrême droite sont hantés par l’idée d’une fraude sociale massive, mais c’est dans le programme du candidat Reconquête que cette idée légitime une croisade contre les pauvres et les étranger·es.

L’obsession de la candidate du RN pour la « fraude sociale » la conduit à proposer de rassembler sous un même « ministère de la lutte contre les fraudes (fiscales, aux cotisations et prestations sociales, aux importations, ententes, etc. ») des fraudes de nature et d’ampleur bien différentes : celles des plus riches et des entreprises, qui peuvent concerner des montants très conséquents (entre 80 milliards et 100 milliards d’euros [31]), et celles des moins riches, généralement de bien moindre ampleur (un milliard selon la Cour des comptes [32]). La candidate ne prévoit rien en revanche pour lutter contre le phénomène de non-recours aux droits sociaux, à savoir le fait que de nombreux ménages éligibles aux prestations sociales n’en font pas la demande, le plus souvent par défaut d’information ou parce que les démarches sont trop complexes.

Candidate du RN

Mesure 22 – Créer un ministère de la lutte contre les fraudes (fiscales, aux cotisations et prestations sociales, aux importations, ententes, etc.) ».

Le programme du candidat de Reconquête sur la protection sociale est quant à lui entièrement tourné contre les pauvres et les étrangers. On peut dire que son programme de lutte contre la fraude sociale est un programme de guerre contre les pauvres et les bénéficiaires de protection sociale résidant à l’étranger (souvent elles et eux-mêmes étranger·es).

Ainsi, ce programme prévoit des « brigades nationales », avec des « pouvoirs d’investigation étendus », pour traquer les pauvres. Autrement dit, pour retrouver une poignée de fraudeurs, il s’agirait d’organiser au sein des organismes sociaux une politique de harcèlement des allocataires de minima sociaux, quels qu’ils et elles soient. Cela aggraverait l’un des problèmes majeurs des minima sociaux : le non-recours. On estime aujourd’hui qu’environ un tiers des foyers éligibles au RSA ne demande pas la prestation. Avec une politique aussi répressive, cette part pourrait être encore plus grande. C’est d’ailleurs bien l’objectif proclamé par le candidat : « Mettre fin à l’assistanat ». Et pour cela, il fait feu de tout bois, déclarant par exemple vouloir instaurer le fichage des allocataires (par le déploiement d’un « registre unique par bénéficiaire de l’ensemble des allocations perçues »). Le candidat est mal renseigné : ce fichage a été mis en place en 2010 sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Le Répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS) [33] permet en effet d’identifier chaque bénéficiaire par son numéro d’inscription au répertoire (NIR) ainsi que l’ensemble des prestations qu’il ou elle perçoit. Enfin, le candidat prévoit derrière la rubrique floue intitulée « Authentifier les vrais assurés » un renforcement du fichage par prise d’empreintes digitales de l’ensemble des bénéficiaires de l’assurance maladie, une mesure coûteuse (économiquement et pour la démocratie) au regard des fraudes visées, qui demeurent de faible ampleur (il est d’autant plus difficile de partager une carte vitale qu’il existe un historique des fichiers médicaux personnels – on ne peut par exemple subir deux appendicectomies). Quant à l’idée d’« imposer un contrôle physique annuel en consulat » pour les personnes bénéficiant de prestations sociales (il s’agit vraisemblablement de la retraite puisque les minima sociaux sont soumis à des conditions de résidence), elle n’est pas révolutionnaire : il existe déjà un « certificat d’existence » validé par le consulat ou l’ambassade, que les retraités à l’étranger doivent envoyer à leur caisse de retraite.

De manière générale, le programme du candidat Zemmour instrumentalise les fraudes sociales en les exagérant considérablement pour les retourner contre les pauvres et les étrangers. La guerre est largement idéologique car une partie des mesures annoncées par le candidat existe déjà. C’est une technique habituelle des personnalités politiques qui entendent remettre en cause la protection sociale destinée aux pauvres : les accuser de frauder, exagérer l’ampleur des fraudes et proposer des mesures déjà en place.

Candidat de Reconquête

Programme lutte contre la fraude sociale
- Sanctionner la fraude sociale
Créer une brigade nationale de lutte anti-fraude dotée de pouvoirs d’investigation étendus.
Imposer des contrôles systématiques des allocataires par les organismes sociaux.
Suspendre pendant 5 années les aides sociales à tout fraudeur récidiviste.
- Mettre fin à l’assistanat
Mettre en place un registre unique par bénéficiaire de l’ensemble des allocations perçues.
S’assurer qu’aucun bénéficiaire de minima sociaux ne touche un montant cumulé supérieur au Smic.
- Authentifier les vrais assurés
Mettre en place la carte vitale à empreintes digitales pour empêcher qu’une même carte ne soit utilisée par plusieurs personnes.
Imposer un contrôle physique annuel en consulat pour les bénéficiaires de prestations sociales résidant à l’étranger.

3. Service public : entre soutien opportuniste et reprise en main idéologique

Dans les programmes de l’extrême droite, le traitement des services publics est ambivalent. Les circonstances font qu’il est difficile de ne pas répondre à la demande sociale, notamment en matière de santé. Cependant, il existe un clivage entre Le RN et Reconquête. Alors que la candidate Le Pen annonce un soutien à la santé et (plus discrètement) au logement social, le candidat de Reconquête affiche sa préférence pour les « cliniques privées » et la médecine libérale sur le volet santé, et son aversion pour le logement social, au nom de la lutte contre l’immigration. Pour les deux candidat·es enfin, certains services publics apparaissent porteurs d’enjeux idéologiques, notamment l’éducation nationale et le service public de l’audiovisuel. Pour la première, ce sont des mesures de reprise en main par l’État qui semblent s’annoncer, tandis que pour le second, la privatisation parait privilégiée.

La santé et l’hôpital : entre « plan d’action » et désinvestissement

Sur la santé, les deux candidats d’extrême droite divergent. Alors que la candidate du RN prévoit un « plan de soutien d’urgence pour la santé de 20 milliards d’euros », le candidat de Reconquête semble ne pas vouloir investir dans l’hôpital.

Le plan Santé de la candidate du RN est assorti d’un objectif chiffré, ce qui est suffisamment rare dans son programme pour être noté – même si la candidate ne donne pas de précision sur la source du financement. Mais ce plan santé tel qu’il est annoncé apparaît sans originalité ni ambition, comme s’il visait surtout à proposer une réponse a minima aux préoccupations du moment (crise sanitaire, crise dans les Ehpad).

Candidate du RN

Mesure 14 - Lancer un plan de soutien d’urgence pour la santé de 20 milliards d’euros.
- Arrêter les fermetures des lits à l’hôpital public et des maternités.
- Revaloriser les salaires des personnels soignants à hauteur de leur travail.
- Investir dans les technologies de santé et rapatrier la fabrication des médicaments.
- Créer des urgences gériatriques dédiées à nos aînés
- Supprimer les ARS et réduire à 10% les postes administratifs dans les hôpitaux pour libérer des moyens pour les soignants.
- Agir contre les déserts médicaux grâce à des incitations financières fortes pour les soignants et augmenter le nombre de maisons de santé.
- Donner plus de place à la prévention, notamment grâce aux visites médicales scolaires qui redeviendront systématiques

Dans ce plan Santé, on trouve d’abord des mesures concernant l’hôpital. Le diagnostic est le même que celui d’autres candidat·es : problèmes des fermetures de lits, du manque de personnels soignants, de la gouvernance et du financement. Les solutions proposées ne sont pas très originales et manquent d’ambition. Ce sont d’abord l’arrêt des « fermetures de lit à l’hôpital public et des maternités » (pas de réouvertures de lits, donc), le recrutement de soignant·es (via l’augmentation du nombre de places dans les écoles d’infirmières par exemple) et la revalorisation de leurs salaires « à hauteur de leur travail ». Mais la fiche consacrée au plan santé ne prévoit que deux milliards pour ces revalorisations salariales, ce qui est loin d’être à la hauteur, surtout quand on sait que le Ségur de la santé prévoyait 10 milliards en 2022 ! Rien n’est dit dans le programme sur les conditions de travail.

Plusieurs mesures concernent la gouvernance de l’hôpital. Deux mesures n’ont guère de sens : la suppression des Agences régionales de santé (ARS), qui sont le bras armé de l’État dans les territoires, dont les responsabilités seraient transférées aux Préfets, et la création d’une direction bicéphale à l’hôpital (une direction pour les questions administratives, une autre pour les questions médicales). Cette dernière mesure ne changerait pas grand-chose, les directeurs d’hôpitaux étant déjà entourés d’un conseil où siègent des médecins ; elle ne permettrait pas d’impliquer tous les acteurs y compris les soignants, ni de sortir de la logique de rentabilité. Le programme prévoit de revenir à un mode de financement des hôpitaux par dotation globale, ce qui suppose de supprimer la tarification à l’activité (T2A), bien que ce ne soit pas explicite dans le programme. Si la T2A est très problématique, le financement par dotation globale avait aussi de nombreux défauts. Il consacrait la mainmise de l’État sur l’hôpital, qui à l’époque avait favorisé les gros Centres hospitaliers universitaires (CHU) au détriment des hôpitaux locaux. Le programme tend de manière générale à opposer postes administratifs et de soignants : il entend « réduire à 10 % les postes administratifs dans les hôpitaux pour libérer des moyens pour les soignants ». Cet objectif s’inscrit dans la continuité d’une tendance longue à la hausse de la part du personnel médical et du personnel soignant dans les hôpitaux, et au maintien à 11 % de celle du personnel administratif [34]. Derrière l’effet d’annonce, la proposition consiste à faire comme si les problèmes de gestion de l’hôpital étaient dus à un excès de main-d’œuvre administrative… et comme si les soignants n’avaient pas eux-mêmes à assurer de nombreuses tâches administratives.

Une deuxième série de mesures concerne la lutte contre les déserts médicaux en zone rurale (oubliant complètement les déserts médicaux en zone urbaine, notamment en Île-de-France). Le programme prévoit « des incitations financières fortes » en direction des médecins libéraux et une rémunération des consultations qui tienne compte du lieu d’exercice, afin d’encourager davantage de médecins et de soignants à s’installer. Il prévoit également un développement des maisons de santé pour les petites urgences, ainsi qu’un développement de la télémédecine (dans la continuité de la politique actuelle). Enfin, le programme prévoit une augmentation des places en études de médecine… mais c’est surtout dans l’objectif de réduire le nombre de médecins diplômés étrangers hors de l’Union européenne.

La prise en charge des personnes âgées dépendantes est un axe important du plan santé de la candidate du RN, avec notamment la proposition de créer des services d’« urgences gériatriques », de renforcer les liens entre médecine de ville et hôpital pour la prise en charge des personnes âgées (c’est déjà un axe de la politique actuelle) [35], d’augmenter les personnels dans les Ehpad, d’allonger (à 12 mois au lieu de 3 aujourd’hui) et de revaloriser la rémunération du congé de proche aidant (à 100 % pour les personnes au Smic, avec un plafonnement à 3 000 euros par mois). L’autre axe important est celui de la médecine libérale, le programme prévoyant de supprimer l’encadrement de la pratique et des prescriptions médicales (qui est un moyen de contrôler la dépense). C’est un cadeau aux médecins libéraux, qui pourrait augmenter les dépenses de la sécurité sociale.

Enfin, on retrouve une dimension xénophobe dans le plan santé : non seulement le projet de moins recourir aux médecins étrangers mais aussi celui d’affaiblir la protection sociale des étrangers les plus vulnérables. Le programme prévoit en effet de réserver l’Aide médicale d’État (AME) aux soins urgents des adultes, sans la modifier pour les enfants. A cela s’ajoute l’objectif de lutte contre les fraudes (avec un ministère dédié à cette activité) qui s’en prend précisément aux publics vulnérables.

Le Candidat de Reconquête n’a quant à lui pas prévu de fiche sur l’hôpital. Son programme tel qu’il est présenté dans les « diapositives » paraît subordonné à son projet contre l’immigration, et s’annonce au détour de Tweets outranciers (« L’hôpital est assiégé par une population venue du monde entier. Nous devons supprimer l’AME  ») ou encore d’interventions tout aussi outrancières dans les médias. C’est son obsession contre les étranger·ères et leur accès à la protection sociale qui le conduit à réclamer la suppression l’Aide médicale d’État (AME) dont bénéficient celles et ceux qui n’ont pas accès à la Sécurité sociale ou à la Couverture maladie universelle (un peu plus de 300 000 personnes, qui représentent une part marginale des hospitalisations et sont très loin d’« assiéger l’hôpital »).

Pour évoquer sa conception de la gestion publique des professions médicales et de l’hôpital, il adopte un ton martial. Dans une émission sur France 2, le candidat a demandé des « mesures d’urgence » pour la médecine de ville (et de campagne) : embauche de 1000 médecins par l’État pour travailler dans les « déserts médicaux », « obligations de garde » pour les médecins libéraux afin de désengorger les services d’urgences, suppression des ARS.

A rebours de déclarations laissant penser qu’il entendait désinvestir l’hôpital au profit du privé et de la médecine libérale – il affirmait qu’on avait « trop misé sur l’hôpital » et « méprisé les cliniques privées » ainsi que les médecins libéraux, son programme affiche « un plan de réinvestissement hospitalier » sur lequel il apporte quelques précisions dans son document détaillé, qui propose, entre autres, le « recrutement de 40 000 personnels hospitaliers », la hausse de 12 % de « la rémunération des aides-soignants et des infirmiers », la modification de la tarification à l’activité (sans autre précision), la participation des soignants à la décision dans les conseils d’administration des hôpitaux. Par ailleurs, tout en se défendant de vouloir les exclure, il tient à propos des médecins étrangers en France un discours inquiétant : « Les étrangers en situation régulière qui travaillent ont tout à fait le droit de rester en France. Je ferai tout pour qu’on en ait de moins en moins besoin » [36].

Le logement social : « préférence nationale » et lutte contre l’immigration

Le logement social est perçu par les candidat·es comme un terrain privilégié d’application de la « préférence nationale » (ou « priorité nationale ») et comme un instrument de lutte contre l’immigration.

La candidate Le Pen entend mettre en place une « priorité nationale » discriminatoire pour favoriser l’accès au logement social des ménages français et limiter celui des autres ménages. Bien que le programme du RN mise beaucoup sur l’accès à la propriété des ménages aisés, la candidate annonce vouloir « construire 100 000 logements sociaux par an dont 20 000 en faveur des étudiants et des jeunes travailleurs ». C’est un peu plus que ces dernières années (près de 70 000 logements sociaux mis en location en 2020, et moins de 6000 logements étudiants [37]). Mais c’est proche des intentions affichées il y a quelques années par le gouvernement actuel : la création de logements sociaux ou pour les étudiant·es est un domaine où les promesses politiques sont rarement tenues. Surtout, on trouve dans la fiche sur la jeunesse l’idée que les étudiants étrangers sont trop nombreux dans les logements étudiants et l’affirmation d’une « priorité nationale » consistant à exclure les étudiant·es étranger·es : « aucun étudiant étranger ne sera logé dans une résidence universitaire publique tant que toutes les demandes formulées par des Français n’auront pas été satisfaites ».

Le candidat de Reconquête n’a pas de fiche programme sur le logement social. Ce dernier est appréhendé comme un volet de son projet anti-immigration [38], et passe par des phrases polémiques, des amalgames et une stigmatisation des immigré·es, des musulman·es, des pauvres et du parc de logement social. Le programme de Reconquête sur le logement peut se résumer en un Tweet : « Le logement social est beaucoup trop important en France ». Alors que les prix de l’immobilier sont au plus haut, empêchant les foyers modestes et de très nombreux jeunes d’accéder à un logement convenable à un prix abordable, le candidat Zemmour entend désinvestir le logement social, au nom de la lutte contre l’immigration (alors que les habitants du parc social sont très majoritairement Français). Interviewé sur BFM TV le 12 janvier 2022, il a affirmé vouloir la suppression de l’article 55 de la loi SRU (qui impose aux communes un quota de logements sociaux) et du dispositif de droit au logement opposable (Dalo), considérant qu’il s’agit de « machines à répandre l’immigration dans toute la France ». Il a également proposé, comme son homologue du RN, des mesures discriminatoires consistant à réserver les logements sociaux aux Français·es. Ses propos particulièrement stigmatisants lui ont valu une plainte de l’Union sociale pour l’habitat. En effet, le candidat a, le 7 février 2022 sur France inter, qualifié les HLM de « terres d’islamisation  », affirmant qu’ils seraient « devenus des antres à kebabs et à femmes voilées, sans compter les trafics de drogue » [39].

L’éducation nationale, cristallisation d’enjeux idéologiques

L’éducation nationale occupe une place singulière dans le programme des candidat·es d’extrême droite. Elle est un lieu de formation citoyenne, avec une forte charge idéologique. On trouve par exemple dans la fiche « École » de la candidate du RN l’affirmation selon laquelle l’école, « plus qu’un service public, est une institution chargée de la transmission à nos enfants des valeurs de la démocratie, de la République et des connaissances ». Les programmes d’extrême droite mêlent ainsi aux mesures à visée électorale (qui se présentent comme des mesures de réparation) des formes de reprise en main idéologique.

Dans le programme de la candidate du RN, on retrouve des propositions assez semblables à celles faites pour l’hôpital (à ceci près qu’elles ne sont pas chiffrées), qui visent à répondre aux préoccupations des électeur·trices : arrêt des « fermetures d’écoles », réduction des « effectifs des classes », revalorisations des salaires des enseignant·es. On retrouve aussi l’idée selon laquelle « supprimer la bureaucratie de l’Éducation nationale » dégagerait « des moyens financiers ». Pourtant, une partie de l’administration des établissements scolaires, secondaires, et universitaire est assurée par les enseignant·es. Supprimer des postes administratifs risquerait de leur faire porter davantage de charges administratives.

Candidate du RN

Mesure 15 - Restaurer notre système éducatif pour qu’il retrouve sa mission de transmission des savoirs.
- Remettre au cœur des programmes l’enseignement du français, des mathématiques et de l’histoire.
- Revaloriser les salaires des enseignants et refonder leur formation.
- Rétablir l’autorité de l’institution scolaire par l’instauration d’un uniforme au primaire et au collège tout en sanctionnant les absences et les incivilités.
- Supprimer la bureaucratie de l’Éducation nationale pour libérer des moyens financiers, réduire les effectifs des classes et arrêter les fermetures d’écoles.

Surtout, le programme du RN pour l’Éducation nationale apparaît porter une forte charge idéologique, sans qu’on sache s’il s’agit de propositions creuses, comme celle de « remettre au cœur des programmes l’enseignement du français, des mathématiques et de l’histoire » (n’est-ce pas déjà le cas ?), de mesures disciplinaires à l’encontre des élèves, « par l’instauration d’un uniforme au primaire et au collège tout en sanctionnant les absences et les incivilités », ou de propositions de mise au pas idéologique des enseignant·es, comme celle consistant à « refonder leur formation » (seraient elles et ils mal formés ?). La fiche « École » de Marine Le Pen semble aller dans le sens de cette mise au pas, avec l’affirmation selon laquelle : « Démagogie, laxisme et relativisme privent nos enfants de repères et de valeurs pourtant essentiels à la cohésion sociale et nationale ». À cela s’ajoute une volonté de reprendre en main le recrutement et la gestion des carrières des enseignant·es, avec une augmentation du « nombre de rendez-vous de carrière et d’inspections ». Enfin, l’école selon le Rassemblement national est une école qui entend effacer la diversité culturelle, avec une politique éducative visant « l’assimilation », la suppression des enseignements de langues et cultures d’origine et une vision de la laïcité entièrement tournée contre l’Islam.

Le programme sur l’école du candidat Zemmour est quant à lui passéiste, voire rétrograde. Ses propositions font revenir à l’école du passé, non par le retour de l’uniforme mais par celui du certificat d’études, du latin et du grec, ainsi que par la fin du collège unique (mesure qui figure également dans la fiche « École » de la candidate du RN), la re-segmentation des filières d’enseignement et surtout la séparation des élèves en fonction de leur niveau.

Candidat de Reconquête

Programme école

- École primaire
Recentrer l’enseignement autour des savoirs fondamentaux : lire, écrire, compter.
Rétablir le certificat d’études à la fin du primaire pour mesurer l’acquisition des savoirs fondamentaux.
- Collège
Mettre un terme au collège unique en instituant des classes de niveau et en proposant une voie professionnelle dès 14 ans.
Permettre véritablement à tous les élèves de suivre un enseignement de latin et de grec.
Instaurer un enseignement et une pratique véritables de la musique.
- Lycée
Restaurer les trois filières scientifique, littéraire et économique en faisant de chacune une voie exigeante.
Refaire du Baccalauréat un examen national, anonyme et terminal afin de le rendre plus juste et plus sélectif.
Créer des classes d’excellence littéraires et scientifiques.

L’école du candidat de Reconquête est une école qui trie, qui oriente précocement les jeunes en difficulté vers la voie professionnelle, qui sépare les élèves, accroît la division de la société.

La privatisation de l’audiovisuel public

Les deux candidat·es d’extrême droite soutiennent la privatisation de l’audiovisuel public en formulant cet objectif quasiment dans les mêmes termes : cette privatisation est présentée comme une mesure de pouvoir d’achat permettant aux ménages d’économiser 138 euros par an de redevance audiovisuelle (voir plus haut la proposition du candidat de Reconquête dans son programme « Pouvoir d’achat »).

Candidate du RN

Mesure 6 - Renationaliser les autoroutes pour baisser de 15 % les péages et privatiser l’audiovisuel public pour supprimer les 138 euros de redevance

Mais peut-il s’agir d’une mesure de pouvoir d’achat ? La mesure 6 de la candidate du RN fournit une réponse par l’absurde. D’un côté, il faudrait nationaliser les autoroutes pour baisser les tarifs des péages (l’État subventionnant les autoroutes et fixant les tarifs), de l’autre, pour les chaînes publiques, l’État ne pourrait ni réguler ni subventionner pour faire baisser la redevance. Cherchez l’erreur. Surtout, on peut se demander quel gain de pouvoir d’achat pourraient faire les usagers et usagères du service public de l’audiovisuel. Leur faudra-t-il s’abonner à des chaînes privées, à un coût éventuellement supérieur à celui de l’actuelle redevance ? Leur faudra-t-il absorber davantage de publicités pour réduire le coût d’accès à ces chaînes ?

L’argument du pouvoir d’achat cache plutôt un parti pris idéologique, néolibéral, des candidat·es. Il pourrait alors s’agir de vendre les organismes audiovisuels publics à des grands patrons acquis à leur idéologie et de s’appuyer plus encore qu’aujourd’hui sur le mélange de pouvoir politique et économique pour mettre au pas les médias, notamment le journalisme d’investigation [40].

4. L’obsession sécuritaire, boussole de l’extrême-droite…

La thématique de l’« insécurité » apparaît comme le « parent riche » du programme d’Éric Zemmour. Du côté de Marine Le Pen, cette thématique semble à première vue plus discrète, et il faut entrer dans le livret spécifique concerné à la « Sécurité » de 24 pages pour comprendre qu’il s’agit, comme dans le cas d’Éric Zemmour, d’une obsession typique de l’extrême droite.

Marine Le Pen : la sécurité comme « priorité du quinquennat »

En plus d’un livret spécifique consacré à la sécurité de 24 pages, la mesure 3 de la candidate du RN porte sur cette thématique de la sécurité.

Candidate du RN

3 - Faire de la sécurité partout et pour tous une priorité du quinquennat
Rétablir les peines planchers pour que tout criminel et délinquant aient une sanction.
Supprimer toute possibilité de réduction et d’aménagements de peine, en particulier pour les violences contre les personnes.
Instituer une présomption de légitime défense pour les forces de l’ordre.
Accélérer les procédures judiciaires en engageant le doublement du nombre de magistrats.
Inscrire au fichier des délinquants sexuels les harceleurs de rue.
Atteindre 85 000 places de prison en 2027.
Établir une perpétuité réelle.

Le « Programme sécurité » d’Éric Zemmour

Candidat de Reconquête

Trois catégories de propositions pour le « Programme Sécurité »
- Protéger les Français et leur apporter enfin la paix
Mettre en place des peines planchers pour punir chaque crime et chaque délit.
Rétablir la perpétuité réelle et en finir avec le scandale des remises de peines.
Poursuivre et punir toutes les violences physiques, même celles considérées comme bénignes.
Expulser les délinquants étrangers incarcérés immédiatement, et les criminels étrangers à l’issue de leur peine.
- Vaincre les criminels et délinquants
Créer une force nationale anti-drogue, pour démanteler les réseaux, en multipliant les saisies contre les trafiquants.
Défendre enfin le droit de propriété en expulsant tous les squatteurs en moins de 72h, grâce au recours obligatoire à la force publique par les préfets.
Renforcer le pouvoir des maires contre les occupations illégales de terrains publics par les gens du voyage.
Expulser automatiquement les trafiquants et leurs familles des logements sociaux.
Supprimer les aides sociales aux délinquants et à leurs parents s’ils sont mineurs.
- Soutenir notre police
Grâce à la notion de « défense excusable », permettre aux policiers et aux citoyens agressés de se défendre sans risquer d’aller en prison.
Simplifier drastiquement la procédure des enquêtes de police.
Créer une véritable police pénitentiaire pour rétablir l’ordre dans les prisons.
Candidat de Reconquête

Trois catégories de propositions du « Programme Justice »
- Restaurer une justice ferme
Instaurer des peines planchers pour chaque crime et chaque délit.
Rétablir la perpétuité réelle pour les criminels les plus dangereux.
Réduire drastiquement les remises de peine pour que la peine prononcée soit réellement exécutée.
Déchoir de la nationalité française les criminels et les délinquants multirécidivistes binationaux puis les expulser.
Recruter 3 000 magistrats et 3 000 greffiers.
- Mettre fin à l’impunité des mineurs
Abaisser l’âge de la majorité pénale de 18 à 16 ans.
Suspendre les aides sociales pour les parents de mineurs délinquants et criminels.
- Régler le problème des prisons
Expulser immédiatement plus de 10 000 délinquants étrangers emprisonnés.
Construire 10 000 places de prison supplémentaires.

Surveiller, punir et incarcérer

Les visions de la « sécurité » de Marine Le Pen et d’Éric Zemmour s’inscrivent dans une perspective très punitive : la sanction doit être avant tout une punition (et non viser la réinsertion future, comme l’indique actuellement le Code de Procédure pénale). On retrouve ici la vision de la sanction comme réparation et expiation d’une faute commise à l’égard de la communauté, classique dans les partis de droite. L’idée générale consiste donc à punir, et à punir « sévèrement » : aucune remise de peine ne doit être accordée, des « peines planchers » doivent être mises en place.

Les violences faites aux femmes figurent dans le livret de Marine Le Pen, qui indique qu’elles doivent pouvoir « s’habiller » et « circuler » comme elles l’entendent. La proposition concernant l’inscription au fichier des délinquants sexuels des « harceleurs de rue » (aujourd’hui susceptibles d’être punis d’une amende) s’inscrit dans cette lignée, sans que l’on sache comment elle serait mise en œuvre en pratique. Éric Zemmour évoque également le sujet des violences sexuelles et conjugales, qu’il propose de punir davantage dans son « Programme pour les Françaises » (voir ci-dessous). Cependant, le candidat est peu crédible sur le sujet : la manière dont il a qualifié le 4 décembre 2018 une manifestation contre les violences faites aux femmes de « manifestation plus ou moins islamo-gauchiste soi-disant pour être hostile aux violences faites aux femmes » [41] laisse planer le doute sur son engagement.

On voit assez bien dans les propositions présentées ici le durcissement souhaité de la politique pénale, cher à la droite et à l’extrême droite. Néanmoins, les conséquences de celui-ci en matière pénitentiaire ne sont pas abordées : si on incarcère plus (et plus longtemps), le nombre de personnes incarcérées va nécessairement augmenter.

La population carcérale compte actuellement environ 70 000 personnes, dont 10 000 sont en « surnombre » (le nombre de places de prison est insuffisant, ces personnes dorment donc sur des matelas au sol ou dans des cellules où on rajoute un lit sans que celui-ci n’ait été initialement prévu). Les 10 000 places de prison promises par Éric Zemmour apparaissent donc dérisoires face à la mise en place d’une telle politique pénale, et ne serviront, tout au plus, qu’à « éponger » la surpopulation actuelle… Quant aux 25 000 nouvelles places promises par Marine Le Pen, on a du mal à envisager leur possibilité immédiate, tant la construction de nouvelles prisons coûte cher et prend du temps. Cette construction de places est une marotte de nombreux gouvernements : on connaît ainsi depuis 1986 et l’annonce du « plan 13 000 » d’Albin Chalandon, alors garde des Sceaux du gouvernement Chirac, de très nombreux « plans » de constructions, visant à pallier l’insuffisance du nombre de places disponibles actuellement (le dernier en date étant l’annonce par Emmanuel Macron de la construction de 15 000 nouvelles places de détention [42]). Or, tous ces plans de construction ne suffisent pas à « régler le problème » de la surpopulation carcérale, au contraire : on constate que le nombre de personnes incarcérés augmente linéairement au même rythme que le nombre de places de prisons, ce qui est certainement une conséquence des politiques pénales répressives mises en œuvre depuis une vingtaine d’années.

La mention d’une « police pénitentiaire » par Éric Zemmour, destinée à « rétablir l’ordre dans les prisons » laisse songeur : de quoi s’agit-il ? À quel(s) problème(s) précis cette police est-elle censée répondre ? L’intervention des Eris (Équipes régionales d’intervention et de sécurité, unités similaires à celles du GIGN ou du Raid et agissant uniquement en milieu carcéral) est déjà possible dans les établissements pénitentiaires français ; on voit mal ce qu’un nouveau corps de « police pénitentiaire » ajouterait à la présence des surveillants de prison d’un côté, des Eris de l’autre. Dans son programme détaillé, le candidat indique qu’il souhaite en fait « transformer l’administration pénitentiaire en une véritable police pénitentiaire » rattachée au ministère de l’Intérieur. Cette proposition va complètement à l’encontre du partage des prérogatives actuel entre Justice et Intérieur, et remettrait totalement en question le rôle des fonctionnaires de l’administration pénitentiaire (qui ont d’abord pour mission dans le Code de procédure pénale, rappelons-le, celle de réinsertion).

Toujours au sujet de la police, l’idée de « simplifier drastiquement la procédure des enquêtes de police » semble également très vague : de quoi s’agit-il ? Est-il question de passer outre la décision d’un juge pour conduire une enquête ? On ne voit que trop bien les menaces que ferait peser une telle mesure sur les libertés et la sécurité individuelles, d’autant plus que la proposition concernant une « défense excusable » (Éric Zemmour) ou de « présomption de légitime défense » (Marine Le Pen) s’inscrit dans la même ligne : où s’arrêterait ce principe et comment est-il envisageable que n’importe quelle personne qui s’estime « agressée » (imaginons, un policier encadrant une manifestation) puisse « se défendre » et causer des blessures (par exemple, en utilisant un LBD ou une grenade de désencerclement) sans risquer d’aller en prison ? Cette proposition foule aux pieds la notion de responsabilité pénale. Elle va de pair avec la proposition d’Éric Zemmour (dans son programme détaillé) de « retrouver une procédure pénale rapide et efficace en simplifiant drastiquement le code de procédure pénale », ce qui, là encore, est lourd de menaces.

Éric Zemmour s’inscrit également dans la lignée des présidentiables ou des ministres de l’Intérieur qui affirment vouloir « mener la guerre à la drogue ». On connaît l’efficacité réelle de ces politiques ainsi que leur coût comparé à leurs maigres résultats.

Enfin, Marine Le Pen comme Éric Zemmour souhaitent conditionner les aides sociales en en privant les personnes « délinquantes » (ou leurs parents, s’il s’agit de mineurs). On voit ici une conception de la délinquance uniquement centrée sur les plus pauvres, aveugle aux inégalités sociales et de genre. Les programmes de l’extrême droite laissent complètement de côté la délinquance en col blanc (celle de la fraude fiscale ou encore des dissimulations financières), qui ne pourra jamais être impactée par ce type de mesures inégalitaires. Il s’agit de s’en prendre aux plus pauvres et aux plus vulnérables, pas de les protéger.

Justice : la « fin de l’impunité »

En matière de justice, on retrouve encore une fois les thématiques chères à la droite et à l’extrême droite, à savoir la nécessité de « restaurer une justice ferme » et d’avoir une politique pénale qui « met fin à l’impunité », en particulier des mineurs.

La répétition à plusieurs endroits des programmes d’Éric Zemmour et de Marine Le Pen de l’affirmation selon laquelle la « perpétuité » ne serait pas « réelle » en France montre à quel point il s’agit d’un fantasme obsédant les candidat·es d’extrême droite. En effet, la peine de prison à perpétuité existe bien en France, assortie d’une « période de sûreté » qui, elle, n’est pas éternelle (elle est plafonnée à 30 ans de réclusion). Cela signifie que, sur avis du juge de l’application des peines (Jap), la personne condamnée peut éventuellement sortir de prison après l’exécution de cette période de sûreté incompressible. L’insistance des candidat·es sur ce point peut paraître démesurée : environ 500 détenus sont concernés par la réclusion à perpétuité aujourd’hui en France, soit environ 0,01 % de la population pénale. [43]

De plus, les deux candidat·es d’extrême droite souhaitent recruter des magistrat·es (et des greffier·ères pour Éric Zemmour). Cette annonce est plutôt bienvenue compte tenu des carences de la justice française en la matière. Mais ce recrutement éventuel ne suffira probablement pas à répondre aux besoins dans une société sécuritaire (on compte aujourd’hui environ 8 600 magistrats en France, soit deux à quatre fois moins que la moyenne européenne si on rapporte ce chiffre au nombre d’habitants [44]).

Enfin, concernant le programme d’Éric Zemmour, les visuels montrent aussi que le candidat a bien l’intention de surfer sur la vogue de la thématique de « l’ensauvagement », comme l’a fait avant lui Gérald Darmanin à l’été 2020 [45]. Or, les chiffres mobilisés sont trompeurs, sinon mensongers : la plupart des indicateurs des enquêtes de « victimisation » (où on demande directement à un échantillon représentatif s’il a été victime de crimes ou de délits dans l’année écoulée) montrent une stagnation ou une baisse des délits et des crimes (à l’exception des homicides). [46]. Il s’agit, encore une fois, de jouer sur les peurs dans une visée électoraliste. Le graphique concernant le nombre d’agressions est à cet égard révélateur : on nous parle d’une « hausse durable », alors que seules deux dates sont présentées… De la même manière, le programme détaillé indique que « il y a aujourd’hui plus de 1 800 agressions et 120 attaques au couteau par jour », sans contextualiser ce chiffre (ni historiquement, ni géographiquement, ni en le rapportant à la population française).

L’amalgame entre insécurité et immigration

Finalement, les mesures proposées ici laissent transparaître les obsessions de Marine Le Pen et d’Éric Zemmour à l’encontre des personnes étrangères ou d’origine étrangère sur le territoire français. Ainsi, sur les douze infographies d’Éric Zemmour présentées dans cette rubrique (particulièrement prolixe en la matière !), pas moins de cinq concernent la nationalité de divers justiciables. Ce faisant, il passe sous silence le fait que les personnes étrangères ou d’origine étrangère ont plus de chances que les autres de se faire contrôler, arrêter et donc de figurer dans ces statistiques. On sait que la police procède à de nombreux contrôles d’identité ciblés (en particulier à l’encontre des minorités dites « visibles »). [47], qui sont autant d’occasions de découvrir des délits commis par ces catégories ciblées par les contrôles – et de manquer ceux commis par d’autres. L’expulsion ou la déchéance de nationalité des délinquants et criminels binationaux, vieille marotte de la droite (et, parfois, de la gauche…), figure dans les deux programmes.

Cette partie des programmes d’extrême droite est particulièrement révélatrice de l’obsession de la lutte contre l’immigration et « l’assistanat ». Elle montre aussi la confusion de celles-ci avec toute forme de délinquance et de criminalité. Ainsi, pour « protéger les Français », il s’agirait d’expulser tous les délinquants incarcérés immédiatement (en oubliant que plus des trois quarts des prisonniers sont Français, et que si des étrangers sont incarcérés dans les prisons françaises, l’inverse est également vrai : des Français sont incarcérés à l’étranger).

5. … doublée par une obsession de l’immigration

L’immigration est la thématique la plus développée dans les deux programmes d’extrême droite. Marine Le Pen consacre ainsi un livret au « contrôle de l’immigration » de… 46 pages (!), quand Éric Zemmour présente un « programme immigration » et un « programme islam » (que nous avons réunis ici tant la question de la religion musulmane semble tracasser le candidat de Reconquête et être liée à l’immigration). Plus que cela, les deux candidat·es se réfèrent sans arrêt à la thématique migratoire dans les autres rubriques (cf. la « protection sociale » ou la « sécurité » par exemple), rappelant par exemple la nécessité de l’expulsion de tel ou telle étranger·ère.

Marine Le Pen ou l’obsession de « l’immigration incontrôlée »

Candidate du RN

En plus d’un livret spécifique consacré à l’immigration de 46 pages, les deux premières mesures parmi les 22 portent sur cette thématique :

Mesure 1 - Arrêter l’immigration incontrôlée en donnant la parole aux Français par référendum
Mettre fin à l’immigration de peuplement et au regroupement familial.
Traiter les demandes de droit d’asile uniquement à l’étranger.
Réserver les aides sociales aux Français, et conditionner à 5 années de travail en France l’accès aux prestations de solidarité.
Assurer la priorité nationale d’accès au logement social et à l’emploi.
Supprimer l’autorisation de séjour pour tout étranger n’ayant pas travaillé depuis un an en France.
Expulser systématiquement les clandestins, délinquants et criminels étrangers.
Supprimer le droit du sol et limiter l’accès à la nationalité à la seule naturalisation sur des critères de mérite et d’assimilation.

Mesure 2 - Éradiquer les idéologies islamistes et l’ensemble de leurs réseaux du territoire national
Aucune proposition concrète associée à cette mesure.

Éric Zemmour ou… l’obsession de l’immigration incontrôlée (bis repetita)

Candidat de Reconquête

Trois catégories de propositions pour le « Programme Immigration »
- Stopper les flux
Mettre fin au regroupement familial.
Limiter le droit d’asile à une poignée d’individus par an.
Rendre obligatoire le dépôt des demandes d’asile à l’étranger, dans nos consulats.
Mieux sélectionner les étudiants étrangers.
- Mettre fin aux pompes aspirantes
Supprimer le droit du sol.
Durcir drastiquement les conditions de naturalisation.
Supprimer les aides sociales aux étrangers extra-européens.
Supprimer l’Aide Médicale de l’État.
Interdire la régularisation de tout étranger entré illégalement sur le territoire français.
- Renvoyer tous les étrangers indésirables
Renvoyer tous les étrangers clandestins présents sur notre sol.
Expulser les délinquants et les criminels étrangers.
Déchoir de la nationalité française et expulser les criminels binationaux ainsi que les délinquants binationaux qui récidivent.
Renvoyer les étrangers venus travailler au terme d’une période sans emploi de 6 mois.
Candidat de Reconquête

3 catégories de mesures dans le « Programme Islam »
- Imposer la discrétion
Interdire le port du voile islamique dans l’espace public.
Interdire la construction de minarets et de mosquées imposantes.
- Stopper l’endoctrinement
Assurer la fermeture définitive des lieux de promotion du djihad.
Interdire les « Frères Musulmans » et toute mouvance liée.
- Empêcher les influences étrangères
Imposer un strict contrôle des imams et des financements étrangers du culte musulman.
Expulser systématiquement tous les étrangers pouvant représenter une menace pour l’ordre public, en particulier les fichés S.

Dans les programmes des candidat·es d’extrême droite, les mesures concernant l’immigration et son contrôle sont très nombreuses, comme on pouvait s’y attendre. Marine Le Pen, dans son livret spécifique consacré à la question, tout comme Éric Zemmour, dans les 18 visuels qui accompagnent ce thème, jouent tous les deux sur la peur de « l’immigration incontrôlée » qui « exploserait » actuellement. Deux des visuels de Reconquête ont pour objet de mentionner le pays d’origine des personnes arrivant sur le territoire français (et d’indiquer la surreprésentation des nationalités africaines), un autre mentionne le nombre d’enfants des femmes immigrées par rapport aux femmes natives (pour reprendre l’opposition utilisée par les démographes entre personnes « immigrées » et personnes « natives » [48]). On retrouve ici l’obsession classique des partis d’extrême droite envers la question migratoire, et en particulier envers un prétendu « grand remplacement » ou envers un « suicide français », cher à Éric Zemmour (voir l’introduction de ce texte).

Dans son programme détaillé, Éric Zemmour indique qu’il cherche à « renouer avec l’assimilation pour refaire des Français  ». Il propose ainsi de faire de l’école un « creuset » du récit national (ce qui renvoie aux nombreuses polémiques concernant sa vision de l’histoire de France), d’encourager la connaissance des grands textes littéraires ou encore de permettre à 10 000 jeunes d’effectuer un service militaire volontaire.

Dans cette partie figure également des mesures visant à « mettre un terme à l’islamisation de notre pays ». En effet, l’ensemble des mesures proposées en matière d’immigration, chez Marine Le Pen comme chez Éric Zemmour, cible en fait des catégories particulières de personnes immigrées, et non l’ensemble d’entre elles : il s’agit prioritairement des immigré·es pauvres et de celles et ceux qui sont de confession musulmane. Ainsi, les deux programmes demandent la suppression de l’Aide médicale d’État et la suppression des aides sociales, comme on l’a vu. De la même manière, la proposition d’Éric Zemmour de renvoyer les étranger·ères venu·es travailler en France au terme d’une période de 6 mois sans emploi instrumentalise les politiques dites « d’activation » (visant le retour à l’emploi) des chômeur·ses et des allocataires de minima sociaux. Elle fait de ces politiques d’incitation à accepter n’importe quel emploi des politiques de sanctions contre les étranger·es privé·es d’emploi. Enfin, de nombreuses mesures des deux candidat·es d’extrême droite font référence explicitement ou à mots couverts à l’Islam. On trouve par exemple dans les deux programmes des mesures d’expulsion des « étrangers pouvant représenter une menace pour l’ordre public » (pour reprendre les mots de Reconquête).

Finalement, là encore, les deux programmes d’extrême droite sont très proches et il faudrait jouer au jeu des sept différences pour y trouver des éléments de distinction réels.

6. L’environnement : parent pauvre des programmes d’extrême droite

Dans le programme de la candidate du RN, les mots « environnement », « écologie » ou « énergie » n’apparaissent tout simplement pas. Éric Zemmour, quant à lui, consacre une rubrique de son programme à l’environnement, une autre à l’énergie et une dernière à l’agriculture. En lisant plus avant, on s’aperçoit qu’il s’agit avant tout de défendre les « paysages » plus que l’environnement en tant que tel.

L’environnement ou le vide des programmes d’extrême droite

L’environnement est le parent pauvre des programmes des candidat·es d’extrême droite. Il faut bien fouiller dans les « 22 mesures » de la candidate du RN pour trouver quelques propositions qui peuvent être raccrochées à la thématique environnementale. Dans le programme d’Éric Zemmour, seules huit propositions en tout y sont relatives (dont une concernant la loi SRU), aucun visuel ou chiffre ne les appuyant [49].

Candidate du RN

Mesure 12 - Assurer notre indépendance énergétique pour baisser la facture des Français
Rendre aux ménages les 5 milliards de subventions versées notamment aux éoliennes.
Arrêter les projets éoliens et démanteler progressivement les parcs existants
Relancer la filière nucléaire, hydroélectrique et investir dans la filière hydrogène
Sortir du marché européen de l’électricité pour retrouver des prix décents

Mesure 13 - Défendre nos agriculteurs et une alimentation de qualité pour tous
Garantir aux paysans des prix respectueux de leur travail et mettre un terme aux marges abusives de la grande distribution
Interdire les importations de produits agricoles ne respectant pas les normes de production française
Contraindre les cantines à utiliser 80 % de produits agricoles français
Mettre en place un « plan abattoirs » pour assurer des conditions dignes et interdire l’abattage sans étourdissement
Généraliser l’étiquetage sur l’origine et la qualité des produits alimentaires

Mesure 21 - Créer un ministère d’État de la Mer et de l’Outre-Mer
Aucune proposition concrète associée à cette mesure.
Candidat de Reconquête

Trois catégories de mesures pour le « Programme Environnement »
- Préserver nos paysages
Interdire tout nouveau projet de construction d’éoliennes sur terre et en mer
Geler les projets en cours d’éolien en mer
Rediriger le soutien public aux énergies éoliennes et solaires vers les renouvelables thermiques (géothermie, biomasse, pompes à chaleur) pour réduire nos usages d’énergies fossiles
- Limiter l’artificialisation et la pollution des sols
Interdire la construction de nouvelles grandes surfaces et zones commerciales à l’entrée des villes et villages
Abroger la loi SRU pour stopper la folle expansion du logement social
Aggraver les sanctions contre la pratique des décharges sauvages
- Mettre en place des politiques positives de développement durable
Faire émerger une véritable filière industrielle dans le recyclage des plastiques
Établir une stratégie forestière nationale afin de mieux exploiter la 3e forêt d’Europe
Candidat de Reconquête

2 catégories de mesures pour le « Programme Énergie »
- Relancer la filière nucléaire
Supprimer l’objectif de réduire à 50 % la part du nucléaire dans notre mix électrique à l’horizon 2035
Prolonger la durée de vie du parc existant à 60 ans au moins
Lancer la construction d’au moins 14 nouveaux réacteurs nucléaires EPR2 à horizon 2050
Relancer la recherche dans le nucléaire du futur, comme les réacteurs de 4e génération (programme ASTRID) ou la fusion nucléaire (projet international ITER)
Remplacer le dispositif ARENH par un nouveau système permettant à tous les consommateurs et entreprises françaises de bénéficier des coûts compétitifs de l’énergie nucléaires
- Rationaliser le développement des énergies renouvelables
Mettre fin aux projets éoliens actuels et futurs, sur terre et en mer, qui saccagent nos paysages et mettent en danger la stabilité de notre réseau électrique
Rediriger le soutien public à l’éolien et au solaire vers la géothermie, les réseaux de chaleur ou les pompes à chaleur qui remplacent des consommations de gaz ou de fioul

La proposition la plus étonnante du programme « Environnement » d’Éric Zemmour concerne l’abrogation de la loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU), dont on se demande en quoi elle s’y rapporte. Pour rappel, la loi SRU comporte un ensemble de mesures visant à « densifier les espaces déjà urbanisés afin d’éviter l’étalement urbain » [50]. Il s’agit donc, précisément, de limiter l’artificialisation de nouveaux sols ! L’article 55 de la loi SRU oblige également certaines communes à disposer d’un nombre minimum de logements sociaux, proportionnel à leur parc résidentiel : en la matière, il s’agit tout autant de requalifier des immeubles existants de « logements sociaux » que d’en construire de nouveaux. Il apparaît étonnant – sinon mensonger – de parler de « folle expansion du logement social » ; la mesure renvoie plutôt à l’obsession n° 1 d’Éric Zemmour, à savoir la lutte croisée contre l’immigration et « l’assistanat », en faisant l’amalgame avec le logement social.

Candidat de Reconquête

3 catégories de mesure pour le « Programme Agriculture »
- Permettre aux agriculteurs de vivre de leur métier
Mettre fin aux regroupements de plusieurs enseignes au sein de centrales d’achat communes
Privilégier les circuits courts en augmentant la part de produits locaux dans la restauration collective
Protéger les agriculteurs contre la concurrence déloyale des produits étrangers
Interdire les importations de produits agricoles non conformes à nos standards de qualité et de sécurité alimentaire
Mettre fin à la sur-transposition dans notre droit des normes européennes
Mettre fin à la participation de la France aux négociations actuelles et futures des traités de libre-échange
- Encourager l’innovation et le renouvellement des générations
Financer l’innovation en robotique agricole afin de réduire la dépendance à la main d’œuvre étrangère et l’utilisation des produits phytosanitaires
Encourager l’installation de nouveaux producteurs, notamment dans la culture bio
Favoriser le renouvellement des générations en augmentant la Dotation Jeunes Agriculteurs et en simplifiant les procédures d’installation et d’accès au foncier

La mesure 21 de Marine Le Pen concernant la Mer est lapidaire : rien n’est indiqué concernant les futures orientations de ce fameux ministère, ni sur son rôle concret. Cependant, l’Outre-Mer fait l’objet d’un « livret thématique » de 20 pages, qui détaille des propositions plus approfondies et qui se termine par cette citation : « La France a eu tant de présidents de la République ‘terriens’ qu’elle pourrait faire demain le choix d’une présidente ‘Marine’ ». Dans ce livret, aucune mesure ne concerne spécifiquement l’environnement à l’exception de celle-ci : « L’exploitation de ressources nouvelles ne sera possible qu’à la condition qu’elle respecte un haut niveau d’exigences environnementales ». La plupart des mesures sont focalisées sur le développement économique des Drom-Com [51], le coût de la vie ou encore la « culture de l’Outre-Mer ».

Une vision réductrice et paysagère de l’environnement

Cette partie des programmes de l’extrême-droite révèle en fait une vision réductrice, paysagère, de la lutte contre les dérèglements climatiques majeurs actuels, celle-ci se résumant en partie au retrait des éoliennes… Comme l’a répété le candidat Zemmour le 1er février lors d’une interview sur Twitch [52], pour lui, « l’écologie c’est d’abord la protection de la beauté des paysages français » et la première raison pour laquelle il souhaite en finir avec les éoliennes serait que « c’est affreux, (…) ça enlaidit les paysages français ». De plus, les visuels de son programme expliquent qu’un « réacteur EPR fournit autant d’énergie que 1 900 éoliennes », ou encore qu’une « éolienne ne produit en moyenne de l’électricité qu’un jour sur quatre à puissance maximale ». Dans son programme détaillé, le candidat de Reconquête Indique ainsi également qu’il souhaite stopper la fermeture prévue des 12 réacteurs nucléaires annoncée pour 2030, faisant fi des éventuelles questions de sécurité.

Les deux candidat·es souhaitent l’interdiction de l’éolien, comme le montre la mesure 12 de Marine Le Pen qui s’inscrit ainsi dans la lignée de l’ensemble des programmes de droite. Aucune raison n’est exposée ici, à l’exception peut-être du coût du maintien de ce parc (« 5 milliards »). Du côté d’Éric Zemmour, le « soutien public » doit concerner les « renouvelables thermiques » (géothermie, bois-énergie, réseaux de chaleur ou pompes à chaleur), mais aucune précision n’est apportée quant à l’importance de ce « soutien public ». Éric Zemmour ne conçoit d’ailleurs l’énergie thermique que comme un complément pour les besoins croissants que le nucléaire ne permettrait pas de satisfaire. L’énergie « solaire » est incluse dans le paquet des énergies « à délaisser », sans qu’aucune justification ne soit apportée à ce sujet. Marine Le Pen souhaite également relancer le nucléaire.

Une conception individuelle de la responsabilité environnementale

La proposition d’Éric Zemmour visant à « aggraver les sanctions contre la pratique des décharges sauvages » remet la lutte contre les atteintes faites à l’environnement dans une perspective strictement paysagère et sous l’angle de la responsabilité individuelle (ce qui est cohérent avec une approche néolibérale) : les individus sont responsables de leurs faits et gestes qui dégradent « la planète », sans qu’aucune responsabilité collective (de l’organisation du système économique, par exemple) ne soit pointée du doigt. Cette vision individualiste de l’environnement ressemble à celle appliquée depuis cinq ans par Emmanuel Macron : l’analyse des différents projets de loi de finance montre ainsi que toutes les mesures prises visent avant tout à inciter ou sanctionner les agents à leur niveau, sans s’attaquer aux causes plus profondes des dérèglements climatiques rencontrés. [53]. Éric Zemmour dédouane de toute façon la France de toute responsabilité systémique en matière de préservation de l’environnement, indiquant dans l’un de ses visuels que « La France n’est responsable que d’1 % des émissions mondiales de CO2 », oubliant de préciser qu’elle représente moins de 1 % des habitant·es de la planète et que cette proportion n’a donc rien de fantastique.

L’objectif de « politiques positives de développement durable » mis en avant dans les programmes d’extrême-droite prétend s’opposer à celui de « l’écologie punitive » souvent décriée par les hommes et femmes politiques. Il s’agit donc de partir d’un procès d’intention pour proposer des mesures vagues et impossibles à critiquer : qui serait contre le développement d’une « véritable filière industrielle dans le recyclage des plastiques » ou la meilleure « exploitation de la 3e forêt d’Europe » ? (sans que l’on sache véritablement comment l’expression « mieux exploitée » est définie). On retrouve ici l’idée selon laquelle la technologie serait notre meilleure alliée pour combattre les dérèglements climatiques.

Le soutien nécessaire aux agriculteurs français

Une fois encore, les programmes des deux candidat·es d’extrême-droite se rejoignent sur la question de l’agriculture.

La mesure 13 de Marine Le Pen concerne plus les agriculteur·rices que l’environnement en soi, mais elle concerne aussi les importations de produits agricoles et l’utilisation de « produits agricoles français » : on peut imaginer que la candidate du RN souhaite ainsi favoriser les circuits courts (encore que cette expression ne soit jamais mentionnée). Il s’agit plutôt d’une conception nationale de l’agriculture, concentrée sur l’origine des produits (la France) plutôt que sur la préservation de l’environnement. Éric Zemmour s’inscrit dans cette lignée et évoque, lui, directement la question des « circuits courts ».

Finalement, pour Éric Zemmour, les politiques « environnementales » se ramènent à l’esthétique paysagère, en appellent à la responsabilité individuelle, s’appuient sur des propositions vagues qui ne promettent guère d’avancées dans la prise en compte des enjeux climatiques et environnementaux. En revanche, le candidat juge qu’il est de bon ton de s’en servir comme prétexte pour abattre du même coup les éoliennes et les logements sociaux…

Dans l’ensemble du programme de Marine Le Pen, rien n’est mentionné au sujet de la réduction des émissions de gaz à effet de serre ou du développement durable. Le terme même d’« environnement » est absent du programme, ce qui est assez révélateur de la mise sur la touche de ce thème.

7. Éric Zemmour, candidat de la ruralité… et des voitures

Un thème particulier émerge dans le programme d’Éric Zemmour : celui de la ruralité, à la fois sous l’angle des communes rurales et sous celui des automobilistes. Ce thème est plus discret chez Marine le Pen : on peut le considérer comme un marqueur spécifique du parti Reconquête par rapport au RN.

Favoriser les « bourgs » et leurs habitant·es

Candidat de Reconquête

2 catégories de mesures dans le « Programme Ruralité »
- Encourager la revitalisation des communes rurales
Réorienter les fonds publics destinés à la politique de la ville vers nos campagnes
Instituer une bourse de 10 000 euros pour toute naissance dans une commune rurale
Interdire la construction de nouvelles grandes surfaces et zones commerciales à l’entrée des villes et villages afin de favoriser les artisans et les commerçants
Relocaliser les emplois des administrations et organismes
- Améliorer l’accès aux réseaux de communication et de transport
Accélérer le déploiement de la 4G et de l’Internet Haut Débit sur tout le territoire français
Désenclaver les bourgs par une offre locale d’accès aux transports en commun routiers
Candidat de Reconquête

2 catégories de mesures dans le « Programme Automobilistes »
- Supprimer les contraintes excessives
Supprimer le permis à points
Restaurer la limitation de vitesse de 90 km/h sur les routes nationales et départementales
Mettre fin à toute interdiction de circuler en ville en fonction du type de véhicule (zones à faibles émissions métropolitaines)
Revenir à la limitation de vitesse de 50 km/h en ville, sauf zones spécifiques (écoles, hôpitaux…)
Plafonner les amendes de stationnement à 17 euros sur tout le territoire
Allonger la durée de validité du contrôle technique de 2 à 3 ans et en dispenser les motos
- Soutenir les travailleurs automobilistes
Rendre obligatoire le remboursement par les entreprises de 50 % des frais de carburant de leurs salariés pour leur trajet domicile – travail, dans la limite de 40 euros par mois et s’il n’existe pas d’alternatives de transport en commun

La nostalgie de la ruralité et le retour à la terre

L’opposition entre villes et campagnes est surjouée par Éric Zemmour. On la retrouve par exemple dans sa proposition d’octroyer une « bourse de naissance » de 10 000 euros à chaque enfant « né dans la ruralité » (le terme de « ruralité » n’était pas précisément défini : à partir de combien d’habitantes et d’habitants une ville sort-elle de la « ruralité » ?). Dans son programme détaillé, le candidat de Reconquête indique également vouloir « réinvestir les sommes colossales de la politique de la vie, investies dans les banlieues, dans la rénovation des centres des villes moyennes, des bourgs et des villages », opposant ainsi directement la ville (et en particulier la banlieue) à la campagne.

On retrouve la vision « pseudo-romantique » du monde social, où le « retour à la terre » (et, si possible, à la terre sans éolienne ni logements sociaux, cf. la section consacrée à l’environnement) occupe une place prépondérante. La ruralité est parée de valeurs particulières : Éric Zemmour explique ainsi qu’il s’agit du vrai territoire de la « masculinité », contrairement à la ville et à ses hordes de « wokes » et d’immigrants, et de la famille (puisqu’il s’agit d’encourager les familles rurales contrairement à celles des villes).

Automobilistes : la fin de la sécurité routière

On retrouve ici la rhétorique habituelle de l’ensemble du programme d’Éric Zemmour, donnant des propositions d’éléments « à supprimer » (ici, le permis à points), sans que soit indiqué ce qu’il faudrait instaurer à la place.

Les six propositions de la rubrique « Automobilistes » sont assez marginales et ne dessinent pas une vision politique d’ensemble, si ce n’est l’abandon de l’objectif de sécurité routière couplé à l’absence d’avancée environnementale ou sociale. À ce titre, la dernière proposition concernant le trajet domicile-travail est assez emblématique, puisqu’elle ne contraint les entreprises qu’à hauteur de 40 euros par mois et par salarié… alors que nombreuses sont les entreprises qui pratiquent déjà des politiques de remboursement domicile-travail de ce type.

Les deux mesures concernant les limitations de vitesse (et donc les contraventions liées à celles-ci), celle concernant les amendes et celle, enfin, relative au contrôle technique, sont censées caresser les conducteurs et conductrices dans le sens du poil, en leur promettant moins de dépenses. Aucune justification « chiffrée » n’est cette fois-ci apportée, hormis au sujet des amendes (avec un visuel décrivant l’augmentation du montant des amendes entre 2018 et aujourd’hui) : en ce qui concerne les limitations de vitesse et le contrôle technique, seule la justification électoraliste semble primer.

Aucune mesure, en revanche, ne porte sur l’impact environnemental de la voiture : c’est même le contraire, puisque l’un des visuels du site affirme que « de plus en plus d’automobilistes sont empêchés de circuler en ville », faisant ainsi référence (en les critiquant en creux) aux « Zones à faibles émissions ». Or, ces zones, où la circulation des véhicules particulièrement polluants est restreinte voire interdite, ont été créées surtout pour préserver la qualité de l’air et la santé des habitants concernés.

Finalement, il s’agit dans l’ensemble de propositions qui refusent toute régulation contraignante et structurent une vision du monde selon l’opposition « villes / campagnes ». Les automobilistes ont une place à part dans le programme, tandis que les usager·ères des transports en commun restent invisibles. La voiture occupe une place particulière dans l’idéologie d’Éric Zemmour, sous la figure des « travailleurs automobilistes » dont il a beaucoup été question lors des mouvements des gilets jaunes (à qui il s’agit certainement de plaire). Cette figure est rurale plutôt qu’urbaine, et s’oppose à la centralisation du pouvoir à Paris, ville symbole de la politique du « sans voiture » par excellence (avec par exemple la fermeture par Anne Hidalgo, depuis son accession à la mairie, du trafic automobile sur les quais de Seine).

8. La politique étrangère : une entrée par la défense, la souveraineté nationale… et l’immigration

La politique étrangère est l’autre absente des programmes des candidat·es d’extrême-droite, avec l’environnement. Si on sait que les deux candidats sont proches de la Russie, on ne trouve nulle mention de ces affinités dans les programmes écrits. On s’intéressera donc ici aux mesures concernant la Défense et les Armées, ainsi que celles portant sur l’Europe (dans le programme d’Éric Zemmour – aucune mention de l’Europe ne figurant dans le programme du RN).

Marine le Pen : le renforcement du budget de la Défense

Candidate du RN

En plus d’un livret spécifique consacré à la défense de 16 pages, 1 mesure parmi les 22 porte sur cette thématique.
20 – Porter le budget de la défense à 55 milliards d’euros à l’horizon 2027
Renforcer notre souveraineté et notre indépendance
Garantir à nos soldats l’équipement et les moyens nécessaires pour garantir et protéger les intérêts nationaux

Éric Zemmour : l’importance de l’indépendance de la France

Candidat de Reconquête

4 catégories de mesures dans le « Programme Armées »
- Moderniser et accroître les moyens de notre armée
Porter à 70 milliards d’euros le budget de la défense à horizon 2030
Investir pour disposer d’une capacité de projection permanente à horizon 2040, notamment en se dotant à terme de 2 porte-avions
- Défendre nos intérêts dans le monde
Sortir du commandement militaire intégré de l’OTAN
Augmenter nos forces basées en outre-mer et à l’étranger
- Assurer l’indépendance de notre industrie de défense
Revoir notre engagement dans les grands programmes d’armement européens (avion, char et canon du futur) afin de faire prévaloir nos intérêts
Investir dans notre filière d’armement afin d’équiper nos armées d’équipements français
- Soutenir nos soldats et renforcer le lien Armées-Nation
Revaloriser de 20 % la solde de nos militaires et de nos réservistes dès 2023
Permettre à 10 000 jeunes de faire un service militaire volontaire chaque année

L’armée, gage d’indépendance nationale pour l’extrême droite

Les programmes des deux candidat·es convergent sur la question des armées. La revalorisation des soldes des militaires figure en bonne place. Le programme d’Éric Zemmour comprend quelques visuels informant sur les suppressions de postes ou sur le renouvellement des équipements lourds, et affirmant la nécessité de se « remilitariser » ou d’être « indépendant », ce qui est conforme aux idées habituelles de l’extrême droite. Le livret de Marine Le Pen est sur la même ligne, comme l’exprime en creux son sous-titre, « Réarmer la France puissance ». Enfin, Marine Le Pen (dans son livret sur la défense) et Éric Zemmour se prononcent tous deux en faveur d’une sortie de la France du commandement intégré de l’Otan.

Candidat de Reconquête

3 catégories de mesure dans le « Programme Europe »
- Défendre les intérêts des Français en Europe
Reprendre le contrôle de nos frontières et de notre politique migratoire
Exiger la mise en place sous deux ans d’un mécanisme de commande publique européen permettant à chaque État d’en réserver une part à ses entreprises nationales
Opposer le veto de la France à toute négociation de traité de libre-échange pour défendre nos entreprises et nos agriculteurs
- Mettre fin à la fuite en avant fédéraliste
Bloquer tout nouveau transfert de compétence et faire appliquer rigoureusement le principe de subsidiarité
Mettre fin à la surtransposition des règles européennes
Réviser l’article 55 de la Constitution pour faire primer toute nouvelle loi nationale sur le droit européen existant
Constituer de larges coalitions d’États membres autour de nos priorités
- Construire une Europe des nations
Réorienter l’Union européenne vers une Europe des Nations qui respecte la dignité des peuples et des États
Refuser tout nouvel élargissement et mettre fin au processus d’adhésion de la Turquie
Interdire d’arborer le drapeau européen sans le drapeau français à ses côtés sur les édifices publics

L’Europe, trop fédéraliste selon Éric Zemmour

Le candidat de Reconquête consacre une partie spécifique de son programme à la thématique européenne. On y retrouve ses thèmes habituels : indépendance française (que l’Europe entraverait), politique migratoire (sur laquelle il faudrait reprendre la main au niveau national), traités de libre-échange (contre lesquels il faudrait se positionner), Europe des nations en opposition à l’Europe qualifiée de « fédéraliste ».

En définitive, l’aspect « politique étrangère » des programmes des deux candidat·es est réduit à peau de chagrin (et accorde très peu de place aux solidarités internationales [54]). On retrouve dans les deux cas des liens avec la politique migratoire, décidément obsessionnelle pour l’extrême-droite.

9. L’extrême droite et les droits des femmes


Les droits des femmes ne sont pas une préoccupation des partis d’extrêmes droites, souvent soucieux de ne pas déplaire aux conservateurs. Les candidats se concentrent donc sur les seuls sujets qui peuvent faire consensus : la lutte contre les violences contre les femmes, qu’ils relient pour partie, explicitement ou non, à l’immigration ou à l’islam.

Marine Le Pen, féministe ?

Le programme du Rassemblement national ne se soucie que peu des droits des femmes. On trouve à quelques endroits (relatifs à la sécurité, l’immigration, ou l’islam) des éléments épars sur le « droit des femmes à s’habiller comme elles le souhaitent  » ou à « se déplacer » et sur la pénalisation nécessaire des délits ou crimes à caractère sexuel. Les questions d’égalité professionnelle, par exemple, ne sont pas abordées dans le programme de la candidate.

Éric Zemmour et « les Françaises »

Les propositions d’Éric Zemmour sont quant à elles résolument conservatrices : le candidat semble réduire la question des droits des femmes à celle des droits des mères (première catégorie de propositions), des droits des victimes de violences sexuelles et conjugales (deuxième) et des femmes mères vivant à la campagne (troisième). On retrouve deux des obsessions habituelles du candidat de Reconquête : la sécurité et la ruralité.

Dans son programme détaillé, le candidat inscrit également à la rubrique « Protéger les Françaises et garantir leurs droits » la mesure « Interdire le port du voile dans l’espace public qui est incompatible avec l’égale dignité de l’homme et de la femme et qui constitue un asservissement de la femme », une conception de l’égalité qui se concentre dans son obsession à l’encontre de la religion musulmane. Par exemple, nulle part le candidat ne désigne les inégalités salariales comme incompatibles avec l’égale dignité des femmes et des hommes.

Candidat de Reconquête

3 catégories de mesures dans le « Programme pour les Françaises »
- Favoriser l’équilibre entre vie professionnelle et vie familiale
Permettre aux deux parents de se répartir librement le temps de congé parental et faciliter les modes de garde alternatifs
Créer 60 000 places de crèche supplémentaires sur le quinquennat
Donner la priorité aux mères célibataires françaises pour l’obtention de logements sociaux et les places en crèches
- Intensifier la lutte contre les violences sexuelles et conjugales
Automatiser le port de bracelets anti-rapprochement pour les personnes condamnées pour les violences conjugales
Augmenter le nombre de places dédiées aux victimes de violence conjugale dans les centres d’hébergement
Mettre en place des peines planchers pour tous les crimes et délits, dont ceux commis par des conjoints violents
Expulser tous les criminels et délinquants sexuels étrangers comme binationaux
- Augmenter le pouvoir d’achat des femmes
Mettre en place une bourse de naissance de 10 000 euros pour chaque enfant né dans un territoire rural
Augmenter les pensions de réversion pour les veuves en augmentant la part du conjoint décédé de 54 % à 75 %

10. L’extrême droite et la démocratie

Une mesure du programme de la candidate du RN concerne les procédures électorales. L’idée est vraisemblablement de séduire les « gilets jaunes » dont une revendication portait sur le référendum d’initiative citoyenne (Ric), tout en reprenant l’idée du scrutin à la proportionnelle, revendication habituelle de l’extrême-droite (ou d’autres partis peu représentés à l’Assemblée nationale malgré leur score élevé aux élections présidentielles et européennes).

Candidate du RN

Mesure 11 - Instaurer le référendum d’Initiative citoyenne et mettre en place la proportionnelle
Aucune proposition concrète associée à cette mesure.

On trouve également dans le programme détaillé d’Éric Zemmour l’idée de « rendre la parole au peuple  » (p. 6). Mais c’est autant pour « instaurer un référendum obligatoire pour toute proposition de révision de la Constitution, ratification de traité européen ou élargissement de l’Union européenne » que pour organiser un grand référendum sur « l’immigration, la sécurité et la justice »/
Ces propositions, visant à instaurer une petite dose de démocratie participative, n’effacent pas l’impression de contrôle anti-démocratique qui se dégage d’autres propositions, notamment concernant la sécurité, l’éducation nationale et la gestion des médias.
La revue Les Possibles remercie Les Économistes atterrés de l’avoir autorisée à republier cette Note publiée en mars 2022 et qui figure sur leur site.

Notes

[1La majorité de cette note a été rédigée avant le 16 mars 2022 afin de prendre le temps de la réflexion. Les encadrés qui reprennent les principales propositions du candidat de Reconquête s’appuient donc sur les diapositives du site programme.zemmour2022.fr et non sur le document « Programme complet ». Néanmoins, les deux sources se recoupent largement.

[2De ce point de vue, il n’y a guère de changement par rapport au décryptage que nous avions proposé dans notre note de mars 2017 sur le précédent programme présidentiel de Marine Le Pen.

[3Il existe aujourd’hui une abondante littérature, notamment anglo-saxonne, sur les liens entre nationalisme et néolibéralisme. Le « trumpisme » notamment a été analysé sous cet angle, par exemple par Adriano Cozzolino (2018), « Trumpism as nationalist neoliberalism. Acritical enquiry into Donald Trump’s political economy », Interdisciplinary Political Studies, Vol 4, No 1, pp. 47-73. Pour un article en Français, on peut se reporter à Pierre Sauvêtre (2020), « National-néolibéralisme. De quoi le ‘populisme’ est-il le nom ? », Sens public, pp.1-32.

[4Il faut rappeler que les liens entre l’extrême droite française et le patronat sont anciens : c’est dans la famille Le Pen l’ancrage dans le Poujadisme. Voir par exemple les analyses d’un collectif d’économistes, Ecolinks, Petit manuel économique anti-FN, Le cavalier bleu, 2017.

[5Voir sur ce point les analyses d’E. M. Mouhoub L’immigration en France. Mythes et réalité, Fayard, 2017.

[7Boubtane E. (2019) “Les effets économiques de l’immigration pour les pays d’accueil », L’économie politique, 4/84, pp. 72-83.

[8La littérature suggère toutefois, sur la base d’hypothèses néoclassiques contestables (selon lesquelles la flexibilité du marché du travail et celle des salaires à la baisse seraient favorables à l’emploi), que l’immigration pourrait avoir un impact négatif marginal sur l’emploi ou les salaires, localement ou pour certaines catégories de travailleur.ses. Voir France stratégie (2019) « L’impact de l’immigration sur le marché́ du travail, les finances publiques et la croissance. Revue de littérature », Rapport pour l’Assemblée nationale.

[9D’Albis H., Boubtane E., Coulibaly D. (2016) “Immigration policy and macroeconomic performances in France”, Annals of Economics and Statistics, vol. 121-122, pp. 279-308.

[10Borjas G. (1999) ’Immigration and Welfare Magnets’, Journal of Labor Economics, 17/4.

[11De Giorgi G., Pellizzari M. (2009) « Welfare migration in Europe », Labour Economics. n° 16.

[12Voir OCDE (2014), ’Is migration good for the economy ?’, Migration policy debates, Mai. Voir aussi d’Albis H., Boubtane E., Coulibaly D. (2019) “Immigration and public finances in OECD countries”, Journal of Economic Dynamic and Control, vol. 99, pp. 116-151.

[13Voir Chojnicki X., Defoort C., Drapier C., Ragot L. (2010) « Migrations et protection sociale : étude sur les liens et les impacts de court et long terme », Rapport pour la Drees-Mire, juillet. Voir aussi Boubtane E. (2019) op. cit. Le rapport de France stratégie (2019) montre que ce résultat est dépendant des méthodes retenues : il cite deux études (de l’OCDE et du Cepii) qui suggèrent que les immigré·es pourraient bénéficier un peu plus des dépenses publiques qu’ils ne contribuent aux recettes, mais c’est en incluant dans les coûts de l’immigration ceux de l’éducation des enfants nés en France y compris quand l’un des parents est français… un parti-pris contestable.

[14Boubtane E. (2019), op. cit.

[15L’expérience allemande suggère que l’arrivée des étrangers a stimulé la croissance et l’emploi dans les années récentes. Voir aussi d’Albis H., Boubtane E., Coulibaly D. (2018) “Macroeconomic evidence suggests that asylum seekers are not a ‘burden’ for Western European countries” Science advances, 4.

[16Ce cocktail de mesures traduit bien une interprétation du patriotisme économique propre à l’extrême droite, par opposition à d’autres formes de souverainisme ou de protectionnisme économique.

[17. Le terme de « charges » est lui-même idéologiquement connoté : en effet, il désigne les cotisations sociales qui ne sont pas simplement une somme à payer par les entreprises et les salarié·es mais bien la source principale de financement du système de protection sociale.

[18. Voir la note des Économistes atterrées sur le sujet : A. Eydoux, A. Math, H. Sterdyniak (2014) « Un pacte irresponsable », mars. Les évaluations qui ont eu lieu depuis, notamment celles sur le Crédit impôt compétitivité emploi (CICE), ne démentissent pas les précédentes (au contraire : les baisses de cotisations coûtent de plus en plus cher pour un effet de plus en plus décevant).

[19. Voir la présentation qu’en donne le ministère de l’Économie et des finances.

[20Le terme « impôts sociaux » est flou (et diffère de celui de « charges » habituellement employé par les partis de droite) : il vise probablement la baisse de la CSG, mais ce peut être aussi celle des cotisations patronales ou salariales, ou encore celle de la taxe sur les salaires. Il indique seulement que cela ne coûterait rien aux employeurs.

[21. On peut penser à la suppression des cotisations salariales d’assurance chômage, présentée comme une mesure de pouvoir d’achat dans le programme du candidat Macron en 2017. Cette mesure s’est avérée préfigurer une réforme en profondeur de la gouvernance de l’assurance chômage (reprise en main par l’État), réforme qui s’est traduite par des coupes dans l’indemnisation des chômeurs les plus précaires. Voir A. Eydoux (2019) « Réforme de l’assurance chômage : l’insécurisation des demandeurs d’emploi », note des Économistes atterrés, juillet.

[22. Voir Dumont G, et Ramajo I. (2021), « Dépenses en faveur de l’emploi et du marché du travail en 2019 », Dares résultats, n° 47, août.

[23C’est-à-dire le 16 mars 2022, soit à 25 jours du premier tour des élections présidentielles.

[24Cette mesure existe déjà !

[25Celle-ci est estimée à environ 1 milliards d’euros par an

[26. Les PME sont d’après l’Insee les entreprises « qui, d’une part, occupent moins de 250 personnes, d’autre part, ont un chiffre d’affaires annuel n’excédant pas 50 millions d’euros ou un total de bilan n’excédant pas 43 millions d’euros. Elles incluent la catégorie des microentreprises. (MIC) qui occupent moins de 10 personnes et ont un chiffre d’affaires annuel ou un total de bilan n’excédant pas 2 millions d’euros ».

[27. Voir par exemple l’interview de Nadine Levratto qui critique les stratégies de relocalisation industrielle par les aides aux entreprises, à la fois trop nombreuses et trop coûteuses, et surtout, n’ayant pas fait la preuve de leur efficacité.

[28Voir Morin T. (2014) « Écarts de revenus au sein des couples. Trois femmes sur quatre gagnent moins que leur conjoint », Insee première, n° 1492.

[29En 2018, 40,5 % des enfants de famille monoparentale étaient pauvre, contre 20,7 % des enfants en moyenne. Voir E. Algava, Bloch K., Robert-Bobée I. (2021) « Les familles en 2020 : 25 % de familles monoparentales, 21 % de familles nombreuses », Insee focus, n°249.

[30Notons que le terme « prestations de solidarité » est vague et peut concerner toute une gamme de prestations sociales. Une condition de cinq années de résidence avec permis de travail s’applique déjà aux étrangers hors Union européenne pour l’accès au RSA, cette condition se durcirait si cinq années de travail étaient nécessaires.

[31Voir Barilari, A. (2018) « La fraude fiscale : les mots et les chiffres », Gestion & Finances Publiques, vol. 3, n° 3, pp. 50-57.

[32Cour des comptes (2020), « La lutte contre la fraude aux prestations sociales. Des progrès trop lents, un changement d’échelle indispensable », Communication à la commission des affaires sociales du Sénat, septembre, 180 p.

[33. Il a été mis en place par l’article L. 114-12-1 du code de la Sécurité sociale et par le décret n° 2009-1577 du 16 décembre 2009.

[34. Le chiffrage est délicat, comme le montre ce dossier de la Drees de décembre 2020.

[35Voir Trabut L. et Garabige A. (2017) « L’approche globale dans le champ de la dépendance », L’Europe du grand âge, pp. 149-158.

[36Voir ici et le compte rendu de l’émission politique Élysée 2022 du 9 décembre 2021 sur France 2.

[37. Voir ici.

[38. On trouvera également une mesure relative au logement social dans la fiche de Reconquête consacrée à l’environnement, place un peu surprenante dont nous reparlerons.

[39. Voir le compte-rendu sur France inter.

[40. Voir par exemple cet article publié dans Libération.

[41Ici.

[42.Voir par exemple ici.

[43On trouvera plus d’éléments à ce sujet sur cette page Wikipédia.

[44Voir ici.

[46Voir par exemple cet article du Monde.

[48. On rappelle qu’une personne est dite « immigrée » lorsqu’elle est née étrangère à l’étranger : un·e Français·e peut donc être immigré·e lorsqu’il ou elle a acquis la nationalité française. Par opposition, une personne dite « native » est née français·e.

[49Ces huit propositions sont celles figurant dans les « diapositives » du site. Dans le programme détaillé du candidat publié le 16 mars 2022, on trouve 2 pages sur l’énergie nucléaire et 2 pages sur « l’environnement et le patrimoine naturel » de la France (avec des propositions relatives à la beauté des paysages, aux animaux, aux filières de développement durable innovantes et à la réduction des gaz à effets de serre).

[50D’après le Ministère de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

[51. Il s’agit des départements et régions d’Outre-mer (Drom) et des cinq Collectivités d’Outre-mer (Com) que sont Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna et la Polynésie française.

[52. Voir ici.

[53Voir la note des Économistes Atterrés « Le néolibéralisme au service du capital, analyse du budget 2022 », par Anaïs Henneguelle, Henri Sterdyniak et Sylvain Billot. Par exemple, les mesures phares concernant l’environnement pour 2022 englobaient les primes à l’achat d’une nouvelle voiture plus « soutenable », ou encore l’aide à la rénovation thermique des logements pour les propriétaires le désirant (et sans aucune obligation). Voir aussi la note des Économistes atterrés « Réponse au rapport Blanchard-Tirole », 2021, https://www.atterres.org/reponses-au-rapport-blanchard-tirole/

[54On trouve dans le programme détaillé d’Éric Zemmour la mesure suivante : « œuvrer pour la protection des minorités chrétiennes persécutées dans le monde, notamment les chrétiens d’Orient qui comptent sur la France pour faire entendre leur voix » (p. 16).

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