Le camp progressiste doit se préparer à la prochaine crise financière

jeudi 25 octobre 2018, par Cédric Durand *

Entretien réalisé par Romaric Godin pour Médiapart le 1er août 2018 dans le cadre de la série « Penser avec Marx (2/6) »

Entretien avec Cédric Durand sur la vision marxiste de la financiarisation de l’économie. Selon lui, elle n’est pas un moyen de régler les contradictions du capitalisme, mais de les déplacer dans le temps.

Cédric Durand, maître de conférences à l’université Paris XIII, est l’un des principaux représentants de l’actuelle école marxiste française en économie. Il s’est particulièrement intéressé au phénomène de la financiarisation, un élément souvent négligé par les marxismes orthodoxes. Avec la crise de 2007-2008 cependant, l’importance de la finance dans le capitalisme moderne est devenue évidente. En 2013, Cédric Durand a publié un ouvrage, Le Capital fictif (éditions Les Prairies ordinaires), qui explore l’impact de ce phénomène financier sur la nature et l’évolution du capitalisme. Cinq ans plus tard, dans le cadre de notre série sur la postérité intellectuelle de Marx, dont on fête le bicentenaire de la naissance, l’économiste nous a accordé un entretien.

Quel est selon vous l’apport de Karl Marx à la compréhension de la financiarisation de l’économie ?

Cédric Durand : En ce qui concerne la finance, la position de Karl Marx se situe à mi-chemin entre Friedrich Hayek et John Maynard Keynes. Comme ce dernier, il pense qu’il se passe quelque chose qui n’est pas de l’ordre de la simple distribution de l’épargne, et qu’en anticipant sur la richesse qui sera produite, la finance facilite l’expansion du capitalisme. Le système financier s’est excessivement sophistiqué. Cette créativité vise à repousser les propres limites du capitalisme.

Mais Marx rejoint également Hayek en mettant en lumière l’aspect délirant de cette fuite en avant fondée sur des paris qui ne peuvent être tous gagnés. La création de richesse anticipée n’est pas certaine de se réaliser. Autrement dit, les projets validés par la finance tendent à excéder les potentialités productives. Pour l’économiste autrichien, dès que les investissements financés par le crédit excèdent l’épargne, ils dépassent aussitôt les ressources réelles disponibles. Un ajustement sous forme de crise est alors inéluctable : soit la consommation doit se comprimer, soit des capacités productives doivent être mises à l’arrêt. Mais Hayek raisonne dans une économie figée. Les paris sont forcément perdus et l’ajustement est toujours inévitable. Pour Marx en revanche, le pari est parfois gagné et le crédit favorise alors la croissance.

La force de Marx est donc d’avoir saisi d’emblée l’ambivalence de la finance : à la fois son aspect « positif » sur la croissance et la survie du capitalisme, et son aspect « négatif », délirant et démesuré. La finance joue à la fois un rôle d’accélérateur du développement capitaliste et de fauteur de crise – ce qui, écrit Marx, donne à ses zélateurs « ce caractère plaisamment hybride d’escrocs et de prophètes ».

Avec ce « capital fictif », la survivance du capitalisme est donc assurée en repoussant à plus tard les ajustements…

La finance joue un rôle de retardateur de crise. Cela a très bien été montré par Wolfgang Streeck dans son ouvrage Du temps acheté [sous-titré La Crise sans cesse ajournée du capitalisme démocratique, éditions Gallimard, 2014 – ndlr], où il explique ces décalages successifs : dans les années 1970 par l’inflation, ensuite par la dette publique, puis par la dette privée, puis par les banques centrales. À chaque fois, on trouve un moyen de reporter à plus tard la résolution des difficultés économiques.

Au cours de la dernière décennie, le recours à l’intervention massive des banques centrales marque une étape supplémentaire : c’est directement la puissance souveraine qui, en rachetant des titres sur les marchés financiers, valide politiquement la valeur financière accumulée. Selon moi, la financiarisation n’est pas la cause des grandes turbulences et de la perte de dynamisme du capitalisme contemporain. C’est un symptôme. La financiarisation n’est pas un moyen de régler les contradictions économiques et sociopolitiques du capitalisme, mais de les déplacer dans le temps.

« On ne mange pas d’actifs financiers, ils ne satisfont pas les besoins ». Mais ce renvoi à plus tard n’est pas tenable indéfiniment…

Il faut ici faire appel à la vision de Suzanne de Brunhoff, une économiste marxiste qui, dans les années 1970, a pris le contre-pied du mépris des questions monétaires et financières alors dominant dans la doxa althussérienne. Elle a montré que si le crédit aux entreprises antévalide la production, qui ne sera réalisée qu’au moment de la vente, il peut aussi le « pseudo-valider », par exemple par l’inflation. Avec l’inflation, chacun croit que la vente de marchandises a validé l’anticipation du crédit, mais dans les faits, il y a perte de valeur.

Comment se joue aujourd’hui cette pseudo-validation ? Par le biais de la financiarisation. On obtient des titres financiers qui anticipent le futur mais dont la capacité à effectivement rapporter les profits espérés est, pour l’ensemble, intenable. Du fait des modalités d’intervention choisies par les banques centrales, l’inflation s’est déportée vers les actifs financiers et non plus vers les biens. Si les banques centrales distribuaient directement de la monnaie aux ouvriers et aux salariés modestes, on assisterait, au bout d’un certain temps, à un retour de l’inflation. Mais aujourd’hui, la distribution se fait aux agents financiers qui, eux-mêmes, épargnent, c’est-à-dire acquièrent d’autres titres financiers.

Tant que la musique joue, tout va bien : les nouveaux titres viennent prendre le relais des anciens, l’action de la banque centrale maintient les taux d’intérêt faibles, le crédit vient soutenir la valeur financière – comme lorsque certaines grandes firmes s’endettent pour payer des dividendes. La pseudo-validation à l’œuvre dans le système financier est imperceptible.

Mais on ne mange pas d’actifs financiers, ils ne satisfont pas les besoins. À un moment, il est nécessaire de faire retour vers le réel : celui du travail et de la production, celui des marchandises et de l’accès aux biens de consommation et d’investissement. C’est dans ce hiatus entre valeur financière et valeur réelle que le caractère délirant des anticipations financières finit par apparaître au grand jour.

Pourquoi, en attendant, ce système tient-il ?

Parce que le capital y croit. Et pourquoi y croit-il ? Parce qu’il croit en son propre pouvoir. C’est ainsi que l’on peut lire, par exemple, la crise de la zone euro. En termes macroéconomiques, c’est évidemment un échec patent. Mais la gestion économique n’est pas la priorité. Cette crise a permis au capital financier de vérifier son pouvoir : les États et les institutions européennes furent là pour assurer la prééminence des exigences financières sur celles des salariés et des citoyens, c’est-à-dire sur les droits sociaux, la protection sociale et la qualité des services publics.

À cet égard, la brutalité de l’ajustement imposé à la Grèce a envoyé un message extrêmement clair. Les politiques de gestion de crise se focalisent d’abord sur la stabilité financière, c’est-à-dire qu’elles donnent la priorité aux droits de créance du capital financier sur les autres droits de créance. L’action politique est là pour assurer que le versement des revenus attendus par la finance sera bien au rendez-vous, à n’importe quel prix : privatisations, baisse de la fiscalité, flexibilisation du travail et coups de rabot à la protection sociale.

En réalité, il existe aussi un autre levier. Comme dans la première mondialisation, à la fin du XIXe siècle, on constate que l’internationalisation des échanges économiques et l’hégémonie de la finance vont de pair. Et ici, se pose un problème de mesure : nos appareils statistiques sont nationaux mais les profits et les activités des grandes multinationales ne le sont pas. Un article récent des économistes de la Banque des règlements internationaux a montré comment la macroéconomie pâtissait de son incapacité à saisir ce décalage statistique. La financiarisation reflète aussi le fait qu’une part des profits anticipés ne le sont pas dans les pays de domiciliation des grandes firmes. Il y a là un hiatus géographique. La financiarisation représente à ce titre des droits pris sur un processus d’accumulation mondial.

Cela se traduit par des échanges inégaux au sein des chaînes de valeur. L’oligopole mondial des multinationales joue des droits de propriété intellectuelle, du contrôle sur les systèmes d’information et de sa puissance marketing pour capter une part disproportionnée de la valeur produite dans les chaînes mondiales d’approvisionnement.

Le pendant de ces surprofits qui viennent nourrir les revenus des actionnaires, ce sont les sous-profits des sous-traitants et, surtout, l’exploitation d’une main-d’œuvre massivement sous-payée. En bref, la mondialisation a fonctionné comme gigantesque pompe à plus-values, depuis le Sud vers les marchés financiers du Nord. Les places financières concentrent des droits de tirage sur la valeur produite dans d’autres régions du globe. Aux États-Unis, on constate ainsi que l’excédent de flux de capitaux équilibre largement le déficit commercial en biens. Mais c’est aussi une source de fragilité géopolitique, comme le montrent les tensions commerciales actuelles.

« On a beaucoup de profits mais peu d’investissements, car on a peu de confiance dans l’avenir ». Pour autant, la finance, qui a pris tant de place dans le système économique mondial, crée-t-elle réellement de la valeur ?

Non, et c’est ce qu’il faut conserver en tête. Selon l’expression de Marx, la finance veut faire croire qu’avec de l’argent, elle peut faire de l’argent comme le poirier fait des poires. C’est évidemment faux. Un titre financier n’a de valeur que de façon dérivée par rapport à la valeur réelle. Il n’a aucune valeur d’usage.

Il n’a de valeur qu’en ce qu’il permet d’accéder à la monnaie qui, elle-même, permet d’accéder à des marchandises ayant une valeur d’usage : des meubles, des repas au restaurant, des produits high-tech, des séjours thalasso, des machines… La valeur financière est donc toujours secondaire, elle dérive de la monnaie qui, elle, donne directement accès à la valeur d’usage.

Il faut bien sûr complexifier ce constat. D’abord parce que, comme on l’a vu, il peut y avoir un effet « keynésien » de la dette. La finance a certes une valeur dérivée, mais ce n’est pas pour autant qu’elle n’a pas d’effet de stimulation sur l’activité productive. Puis il y a un deuxième effet, distributif. La « pompe à phynances » donne accès à des marchandises pour ceux qui en bénéficient. Et cela a évidemment des conséquences très concrètes sur la déformation de la demande et, par ricochet, du système productif en faveur des biens de luxe.

Un des paradoxes de l’économie financiarisée, c’est la contradiction entre l’importance des profits et la faiblesse des investissements. Comment la comprendre ?

On fait face à un immense problème : le capital s’accumule de plus en plus lentement, la productivité ralentit. Le système fonctionne clairement moins bien, alors même que la mondialisation et les nouvelles technologies sont théoriquement des leviers de croissance formidables. L’actuelle récupération économique est historiquement faible et le débat sur la stagnation séculaire est le symptôme de ce malaise.

Pourtant, ce n’est pas une crise de profitabilité : Gérard Duménil et Dominique Lévy, ou encore Michel Husson, ont raison sur ce point. Depuis 1980, dans les pays riches, il n’y a pas de baisse du taux de profit observable statistiquement. La tendance serait même plutôt à la hausse. On a donc beaucoup de profits, mais on a peu d’investissements car on a peu de confiance dans l’avenir.

La connexion avec l’hégémonie de la finance, comme l’a très bien montré André Orléan, c’est la liquidité. Le pouvoir de la finance, c’est précisément la liquidité des actifs, c’est-à-dire la possibilité de trouver à tout moment un acheteur pour les titres financiers. Ceci s’oppose effectivement aux investissements dans des actifs productifs qui, eux, sont risqués et peu liquides. Paradoxalement, alors que la finance s’appuie sur des revenus futurs, choisir la finance, c’est préférer le présent et chercher à se prémunir contre l’avenir.

Il existe plusieurs explications possibles à ce phénomène. Là encore, je pense qu’il faut citer le biais géographique. On peut avoir beaucoup de profits et peu d’investissements à un endroit donné parce que les profits viennent d’ailleurs. Si le fonctionnement du capitalisme mondialisé est d’extraire de la plus-value dans le Sud pour la faire remonter dans le Nord, et compte tenu de l’énorme masse de travailleurs entrés ces dernières années dans ce système mondialisé, le paradoxe apparent des profits s’explique mieux.

D’une certaine façon, dans une vision à la Braudel, on aurait un capitalisme occidental à bout de souffle, qui n’aurait plus que la force d’aller chercher le profit ailleurs. Et en cela, il sape les bases de sa propre hégémonie. On voit bien que c’est la Chine qui, désormais, se prépare le mieux à la prochaine révolution industrielle. C’est une idée séduisante, parce que ce n’est pas avec la finance que l’on construit des capacités industrielles.

On constate également une forte tendance monopolistique de l’économie financiarisée, qui pèse également sur l’investissement et les revenus du travail…

Il semble en effet que Paul Sweezy, dans les années 1970, ait eu raison un peu trop tôt. Ce qu’on constate, c’est une sorte de courbe en S de cette tendance monopolistique. La tendance au monopole a été cassée en 1980 par la réinjection de la concurrence, à la fois par la libéralisation interne (les privatisations, la fin des mécanismes de contrôle des prix) et la libéralisation du commerce et des investissement internationaux. Mais depuis la fin des années 1990, de nouveaux monopoles se reforment. C’est déjà très bien documenté sur le plan statistique pour les États-Unis, où le nombre d’entreprises créées et le nombre d’entreprises cotées en Bourse a fortement chuté. C’est l’inverse de la « start-up nation » que l’on nous vend aujourd’hui en France.

La lecture de Paul Sweezy, qui nous dit que l’on peut avoir des profits et pas de croissance, offre une hypothèse intéressante pour comprendre la stagnation contemporaine. Les grandes firmes mondiales sont assez puissantes pour maintenir des prix suffisamment élevés et, surtout, bénéficier à l’échelle de la planète de coûts salariaux et d’intrants suffisamment bas pour consolider leurs marges.

En raison même de cette position dominante, elles ne sont pas contraintes d’investir et ne trouvent pas d’opportunités d’investissement aussi rentables que celles correspondant à leurs activités déjà en cours. Dans une telle situation de profits massifs, de menace concurrentielle restreinte et d’opportunités d’investissement limitées, les grandes firmes préfèrent détenir des liquidités dans les paradis fiscaux et distribuer leurs profits aux actionnaires plutôt que d’investir.

« Les technologies de l’information ne redynamisent pas le capitalisme ». Comment lisez-vous l’émergence de géants de l’industrie numérique dans ce cadre ?

Il se passe quelque chose d’essentiel au niveau du numérique, mais nous ne le comprenons pas encore très bien. Ce qui est clair, c’est que les technologies de l’information scandent un changement de paradigme, mais qu’elles ne redynamisent pas le capitalisme. Au contraire, ces institutions fondamentales que sont le salariat et la marchandise semblent se déliter. Cette vague d’innovations produit des effets utiles – la diffusion des biens culturels et scientifiques, la rapidité des communications, etc. –, mais elle ne produit que peu d’effets utiles aisément capturables dans la forme marchandise.

Résultat, on constate une forme de hiatus entre l’abondance tendancielle des intangibles qui se trouvent à portée de clic et une frustration économique gigantesque. Cette dernière est exacerbée par la fragilisation du salariat et de la protection sociale, le harcèlement des injonctions à la consommation démultipliées par l’immédiateté des possibilités d’achat, l’effet délétère des inégalités sur les attentes individuelles, mais aussi l’apparition d’une nouvelle gamme de besoins coûteux directement associés au développement d’Internet, à commencer par le budget substantiel que représente le coût d’acquisition des terminaux et des abonnements permettant d’être connecté.

Quelle est l’économie de ces technologies ? Dans son dernier livre, Jean Tirole parle de « manne numérique », suggérant un parallèle avec les profits tirés de l’exploitation de ressources naturelles, mais sans en expliciter les ressorts. Pour moi, ce qui domine est en effet une dynamique rentière, les revenus tirés des activités numériques étant en règle générale prélevés sur d’autres activités.

Google et Facebook, par exemple, se paient essentiellement par la publicité, donc par la vente d’un service aux producteurs de biens et services dont le coût se répercute in fine sur le prix du produit à la vente. Quant à la valeur d’usage de leur propre service, elle existe indéniablement, mais sa forme ne coïncide pas spontanément avec la marchandise : le réseau social comme le moteur de recherche sont d’autant plus utiles que le nombre d’utilisateurs est élevé, leurs effets utiles maximaux coïncident donc avec une situation de monopole.

D’où la difficulté à investir dans un tel contexte, dès lors que les profits s’accumulent de plus en plus là où se trouve la rente, et non pas là où l’on produit les marchandises. Apple, par exemple, est désormais un acteur financier majeur avec ses 350 milliards d’euros de cash. Mais cette firme investit assez peu proportionnellement à ses profits. C’est l’exemple par excellence de l’entreprise manufacturière sans usine. Elle produit peu de marchandises, mais organise la production que d’autres vont mettre en œuvre.

Ce qu’ils apportent, ce sont principalement des actifs intangibles : marque, conception, y compris assez fine sur le plan industriel. L’avantage est évident : une fois que les investissements sont faits, les rendements d’échelle sont infinis, ce qui n’est pas le cas de celui qui possède l’usine. Pour ce dernier, ces rendements sont limités, produire un élément supplémentaire a un coût. Ce type de rente différentielle contribue à la centralisation des profits.

Le numérique permet une augmentation formidable de la productivité, mais celle-ci échappe pour l’essentiel à la forme marchande. Dès lors, la séquence investissement/production/profit se disloque. Résultat : les investissements ne se font pas où l’on en a besoin, l’économie stagne et les tensions sociales s’accumulent.

Si l’on suit les intuitions de Marx, on peut voir dans cette situation la manifestation de limites internes au capitalisme : les forces productives entrent en contradiction avec les rapports de production. Autrement dit, ce qui est en jeu dans le déploiement de l’économie numérique, c’est une reconfiguration d’ensemble des rapports socio-économiques. Hélas, pour l’instant, ce qui domine dans ce réagencement, c’est davantage des formes nouvelles de capture et de prédation que d’émancipation humaine. Mais il est trop tôt pour être résolument pessimiste. Il s’agit d’un processus historique long, dont on ne voit que les prémices.

Ce système fortement financiarisé peut-il tenir encore longtemps ?

Les expédients que l’on a décrits peuvent maintenir la confiance un certain temps. Mais désormais, le commerce mondial stagne, les banques centrales commencent à engager un processus de retrait des politiques exceptionnelles d’après-crise. On n’est vraiment qu’au début de ce phénomène et, déjà, la crise argentine montre combien la situation est grosse d’instabilité latente. Sans le soutien des politiques monétaires et sans le relais d’une mondialisation en expansion, je ne pense pas que la baudruche financière pourra tenir très longtemps.

Nul besoin d’être très téméraire pour pointer le risque d’une nouvelle crise financière. Et le camp progressiste doit s’y préparer. La prochaine bataille décidera qui, entre le capital financier et le reste de la population, doit assumer le coût de l’ajustement. Ce peut être l’occasion d’une revanche sur les opportunités manquées de l’après-2008. Il faut déjà avoir en tête les questions politiques vitales qui se poseront, à commencer par la nécessité d’une prise de contrôle publique des banques, qui devront être renflouées.

Il faudra même aller au-delà en proposant des modes de gestion alternative des services proposés par la finance, notamment les assurances, les retraites, le financement de l’enseignement supérieur, du logement… Les risques sont mieux gérés par une socialisation immédiate, par les cotisations, que par une socialisation différée via la finance. C’est un immense chantier pour le camp progressiste.

En passant, il faut souligner combien Macron, en cherchant à attirer la finance à l’occasion du Brexit, augmente la vulnérabilité de l’économie française à cette future crise. Il faut prendre date. Les avantages à court terme ne compenseront pas les coûts à long terme. Il est vrai qu’à court terme, la finance, c’est irrésistible quand tout va bien, mais lorsque la crise survient, cela peut plomber tout un pays…

La pensée de Marx reste-t-elle alors encore utile à la gauche ?

Marx demeure une référence incontournable pour toute la gauche, depuis les libertaires jusqu’à l’aile gauche du PS. Si le cadre marxiste perdure, c’est parce qu’il s’agit du seul paradigme qui prétende à une pensée globale du capitalisme. Ce qu’ouvre la pensée de Marx, son programme de travail, c’est cette intelligence d’ensemble. Du reste, le marxisme est un champ de recherche foisonnant : le marxisme écologique est un domaine en pleine effervescence, les apports des féministes matérialistes sont incontournables pour penser les mutations conjointes des mondes du travail et des structures familiales, les approches historiques d’inspiration marxiste continuent à faire référence…

Ce qu’il faut comprendre, c’est que le marxisme n’est pas cantonné à la question ouvrière. Parce que, comme l’a très bien montré le penseur britannique David Harvey, la valorisation du capital ne se réduit pas au lieu et au moment de l’usine. Elle empiète sur de multiples espaces. Les batailles portent sur les services publics, l’agencement de la sphère domestique, la question du régime monétaire, les accords de commerce et d’investissement internationaux, les modes de consommation.

Il existe de ce fait des sujets marxistes de résistance au capital autres que le salariat. Certes, la question de l’accès à la reproduction de soi par le salaire ou le salaire différé reste un lieu de confrontation central, mais on peut être marxiste pour mille autres raisons : la crise écologique, l’enlaidissement du monde par la marchandisation, la question du logement ou encore l’accès aux médicaments.

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