« L’instabilité politique structurelle ouvre des brèches, pour le meilleur comme pour le pire »

mardi 5 février 2019, par Julien Rivoire

Entretien avec Ugo Palheta, sociologue, auteur de La possibilité du fascisme

Autriche, Hongrie, Italie, Brésil... la liste des pays où l’extrême droite accède au gouvernement s’allonge. Qu’est-ce qui favorise, selon toi, ce climat et la montée de l’extrême droite à l’échelle internationale ?

C’est en premier lieu la destruction néolibérale des « compromis » sociaux qui favorise partout une déstabilisation de la domination politique des bourgeoisies et la montée de forces portant des projets ultra-nationalistes voire néofascistes. Même si ces forces ne sont en rien anti-système, elles ne sont pas la première option des classes dominantes (comme l’ont montré les exemples d’aventuriers comme Trump ou Bolsonaro). Le paradoxe c’est que le capitalisme apparaît tout-puissant, parce que débarrassé d’un adversaire à sa mesure depuis le déclin du mouvement communiste international, mais n’en est pas moins fragile politiquement. La raison tient au double effet des contre-réformes néolibérales qui, d’un côté, ont renforcé partout le pouvoir patronal et permis de rétablir en partie les taux de profit, mais de l’autre ont largement effrité les conditions socio-politiques permettant à l’ordre capitaliste d’apparaître comme légitime aux yeux des classes populaires. Une crise d’hégémonie – plus ou moins aiguë selon les pays – s’est donc déployée à l’échelle mondiale, les directions politiques traditionnelles parvenant de moins en moins à obtenir le consentement des populations aux politiques menées. Cela n’équivaut pas à une voie royale pour les forces d’émancipation mais il est clair que l’instabilité politique est à présent structurelle et ouvre des brèches, pour le meilleur comme pour le pire.

Dans ton dernier livre tu rejettes le concept de populisme que tu juges trop « vague ». Comment caractérises-tu alors les dynamiques et projets politiques d’un Trump, d’un Salvini ou d’un Orban ?

Le concept de « populisme » est non seulement vague mais il permet aussi deux choses : délégitimer toute critique de gauche du capitalisme néolibéral, assimilée à l’extrême droite ; et faire oublier que ce sont les gouvernements « démocratiques », dont celui de Macron, qui engagent des tournants autoritaires, en gouvernant par ordonnances, en intensifiant la répression des quartiers populaires et des mouvements sociaux, ou encore en s’asseyant sur les votes des peuples quand ces derniers se prononcent pour une rupture avec l’austérité. Pour ce qui est de Trump, de Salvini ou d’Orban, il faudrait faire l’analyse précise de chacun – idéologies, implantation, pratiques, etc. –, mais il est clair qu’ils partagent une même orientation nationaliste, autoritaire, xénophobe et islamophobe. Ce qu’on peut craindre c’est que leur règne ne constitue qu’une phase de transition vers d’authentiques États d’exception, soit par fascisation interne, soit en favorisant la montée de forces plus spécifiquement néofascistes, exigeant d’aller encore et toujours plus loin vers l’autoritarisme et le racisme. En effet, dans la mesure où leurs politiques ne rompent pas avec le cycle d’appauvrissement des classes populaires, ces gouvernements ne peuvent se maintenir au pouvoir que par une surenchère nationaliste et raciste, et en écrasant de plus en plus brutalement toute contestation. Personne ne peut sérieusement prédire jusqu’où cela peut mener.

Le titre de ton ouvrage, La possibilité du fascisme, invite à prendre la mesure de la gravité de la situation. En quoi la France est-elle confrontée à cette hypothèse d’un retour du fascisme ou de l’émergence d’un néofascisme ?

Il y a plusieurs éléments qui entrent en jeu. D’abord, la crise d’hégémonie est particulièrement profonde en France, comme l’illustrent la pulvérisation du champ politique traditionnel lors de la dernière présidentielle, la carbonisation rapide du macronisme, ou encore le mouvement des gilets jaunes, très fortement soutenu dans la population. Ensuite, les gouvernements ont poussé déjà loin le durcissement autoritaire et ont beaucoup œuvré, en particulier depuis une quinzaine d’années, à la construction d’un ennemi de l’intérieur, sous la forme des immigré·e·s ou descendant·e·s d’immigré·e·s, et musulman·e·s (réel·le·s ou présumé·e·s d’ailleurs). En banalisant les positions traditionnelles de l’extrême droite, cela a immanquablement contribué au renforcement du Front national qui, s’il ne dispose pas des milices armées propres au fascisme, est porteur d’un projet nationaliste de type fasciste. En dernier lieu, la gauche radicale et les mouvements de contestation sont suffisamment forts en France depuis plus de vingt ans pour apparaître comme une épine dans le pied de la classe dominante française mais trop faibles, pour le moment du moins, pour constituer une solution à la crise politique. Ce type de situation pourrait amener une fraction des classes dominantes à œuvrer en faveur d’une alliance entre la droite et le FN, voire à terme à pousser ce dernier au pouvoir (si du moins il donne des gages sur le plan économique, ce qu’il tente justement de faire actuellement).

P.-S.

Ugo Palheta, La posibilité du fascisme, La Découverte, Paris, 2018

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