La BCE et la transition énergétique et climatique

lundi 20 janvier 2020, par Michel Castel

Comme il est confortable pour la Banque centrale européenne (BCE) de dire qu’elle a tout fait pour le sauvetage de l’euro et des économies de la zone et qu’il appartient maintenant aux États qui le peuvent de participer à la relance de l’investissement, sans oublier son leitmotiv des nécessaires réformes structurelles. Comme il est également confortable pour de nombreux politiques de dire, depuis peu, qu’on peut mobiliser 1000 Mds € d’investissements publics qui seraient réalisés par l’entremise de la Banque européenne d’investissement (BEI). En réalité, faire face aux gigantesques défis énergétiques, climatiques et environnementaux toujours plus menaçants implique de mobiliser fortement des financements privés parallèlement aux financements publics. Mobilisation économique et financière de même nature que celle que les États et tous les acteurs économiques ont su (ont dû) le faire lors des deux guerres mondiales, car c’est bien une guerre contre une mise en péril de l’humanité qui doit être engagée.

Aussi est-il essentiel que dans cette guerre la BCE apporte une contribution active aux différentes sources de financement des investissements verts à réaliser tant par les États que par les acteurs privés. Elle ne peut pas rester sur son Aventin.

Il est bien sûr très difficile d’avoir un chiffrage pertinent des besoins d’investissements verts additionnels (et non totaux) pour chaque pays et pour l’ensemble des pays de l’UE. Selon les uns ou selon les autres, il serait de 1 à 2 % du PIB européen pour la (seule) transition énergie climat. On reprendra, pour notre part, l’évaluation de juillet 2017 du High Level Expert Group, émanant de la Commission européenne, qui les estimait à 180 Mds€ par an pendant 10 ans pour atteindre les objectifs « 2030 énergie et climat », soit 1,1 % à 1,2 % du PIB des 28 [1].

Pour la France, le think tank I4CE [2] indique que les investissements en faveur du climat ont dépassé 45 Mds€ en 2018 et que jusqu’en 2022/2023 notre pays devrait mobiliser 15 à 18 Mds € supplémentaires chaque année pour respecter la trajectoire du budget carbone actualisé (2019-2023). [3] Et I4CE de préciser à juste titre « qu’il ne suffira pas de mettre à disposition de nouvelles sources de financement : pour déclencher ces investissements, leur rentabilité et la réglementation sont déterminantes ».

Mais les défis énergétiques et climatiques ne sont malheureusement pas les seuls à relever. Il est en effet tout aussi urgent de traiter les problèmes énormes liés à la pollution de l’air et de l’eau douce, des mers et des océans, la réduction et le traitement des déchets, la régénération des terres agricoles, la conversion des agricultures, la recherche de traitements contre les parasites et maladies s’abattant sur tout le vivant… (qu’on regroupera sous le vocable d’investissements environnementaux). La Fondation MacArthur en estime le montant à 320 Mds € entre maintenant et 2025 (chiffre qui, me semble-t-il, ne devrait pas baisser jusqu’à 2030, horizon actuel de tous ces chiffrages et engagements). La Commission européenne dans son « green new deal » a intégré ces défis sans pour autant avoir revu son objectif des 1 000 Mds € d’investissements. Si on ajoute ces autres défis aussi vitaux et urgents que ceux de l’énergie et du climat, il faudra mobiliser au moins 1,6 % du PIB des 28 (base 2017), soit non plus 180 Mds € par an mais de l’ordre de 240 à 250 Mds € [4].

1. Relance par les États

Quand la BCE répète à l’envi qu’une relance des investissements par les États – ou par l’UE – est indispensable, elle développe sans doute une saine pédagogie, mais c’est une question qui n’est pas de son ressort et pour laquelle elle n’a aucun pouvoir, puisqu’elle ne peut pas interférer dans la politique budgétaire des États contrairement à la Commission et au Conseil. Or, le refus allemand notamment est déjà clairement affiché. Il faut dire que le déficit public français (et italien) qui perdure peut susciter des doutes chez ce voisin si sourcilleux des grands équilibres financiers et de la rigueur. Il ne faut donc pas espérer un accord, supposant l’unanimité, pour sanctuariser entre 0,5 % et 1 % des PIB nationaux en investissements verts publics additionnels dans l’évaluation des 3 % – plafond des déficits publics – et/ou des déficits structurels. Et ce n’est pas non plus avec la guéguerre actuelle menée par l’Allemagne et les pays de l’Europe du Nord pour ramener le budget européen de 1,07 % à 1 % (!) qu’on peut espérer quelque chose.

Si toutefois, pour des raisons diplomatiques, l’Allemagne acceptait de faire un geste – comme elle l’a fait le 14 juin dernier sous la pression de la France pour accepter le principe d’un budget commun aux 19 pays de la zone euro [5] - ce geste serait de l’ordre du symbolique.

2. Mobilisation de la BEI

Il est également confortable pour de nombreux politiques de reprendre une proposition d’économistes visant à ce qu’au niveau européen il soit possible de mobiliser 1000 Mds€ d’investissements publics par une banque publique du climat. Et ce, sans autre réelle forme d’approfondissement.

Cependant, sur ce point les choses semblent avancer même s’il ne s’agit pas à proprement de 1 000 Mds€ de financements publics (cf. ci-après). Ainsi, devant le Parlement européen le 11 décembre, Mme Ursula Von der Leyen, la nouvelle présidente de la Commission européenne, a réaffirmé son ambition : « Si nous faisons bien notre travail, l’Europe de 2050 sera le premier continent au monde neutre en carbone ». Devant la COP 25, elle a de nouveau évoqué un plan d’investissements pour l’U.E de 1000 Mds€ sur 10 ans pour y parvenir.

Sur ce dernier point elle a repris la proposition du président Macron [6] d’une « Banque du climat ». Non pas en créant un établissement ex nihilo – impossible à faire car supposerait l’unanimité des 27 pays – mais en s’appuyant sur la Banque européenne d’investissement (BEI) en la transformant – par ajustement de ses statuts – en « Banque du climat » qui financerait ce plan d’investissements « verts » de 1 000 Mds €.

Chiffre impressionnant, mais qui, en fait, est l’équivalent du Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS), dit « plan Juncker », qui aura mobilisé environ 500 Mds € sur cinq ans (2015-2020) pour soutenir l’investissement grâce à la garantie de l’U.E afin de mobiliser des financements privés aux côtés de financements publics. Plan dans lequel les investissements verts représentent environ 25 % du total (90,7 Mds€ actuellement, selon un communiqué du 22 octobre).

Le 14 novembre, à son tour, la BEI a déclaré « prévoir de « débloquer » jusqu’à 1 000 Mds € d’investissements dans l’action pour le climat et le développement durable au cours de la prochaine décennie »ajoutant « un euro sur deux sera dédié à des projets environnementaux » (contre 25 % actuellement) [7].

Avec une garantie donnée par l’UE et la BEI de 33,5 Mds € et des investissements devant être de 500 Mds € entre 2015 et 2020, le plan Junker a bénéficié d’un effet de levier de 15. Même si par prudence on ne retient qu’un levier de 10 pour ce plan climat, il devrait être assez facilement assuré soit par une montée progressive de la garantie inscrite dans le budget de l’UE, soit par le biais de plusieurs augmentations de capital de la BEI lui permettant de conserver son triple A, malgré un changement substantiel dans la nature de ses investissements. Un consensus des 27 pays doit pouvoir se faire sur cette question, même si certains devant se reconvertir plus que d’autres à des énergies propres ont commencé à faire monter les enchères pour obtenir des contreparties. Ils ont eu un début de réponse le 11 décembre, la présidente de la Commission ayant indiqué devant le Parlement souhaiter mobiliser 100 Mds € sur 7 ans pour la Pologne, la Hongrie, la Tchéquie, pays les plus dépendants du charbon.

Sur les 100 Mds € annuels sur 10 ans du plan climat, la BEI a déclaré qu’elle investirait elle-même environ 30 Mds € pour la transition climatique (contre 17 Mds € actuellement dans le plan Juncker, car ce n’est qu’un des quatre objectifs poursuivis). La différence devra être apportée par d’autres investisseurs publics et privés, selon le principe actuel de fonctionnement du plan Juncker. On notera que si rien ne change par rapport à cette annonce, cela veut dire que le financement additionnel ne sera pas de 100 Mds € mais de 83 Mds €, puisque le financement supplémentaire de la BEI n’est que de 13 Mds €…

Pour réaliser le Plan Juncker (FEIS), la BEI s’appuie sur 305 intermédiaires financiers partenaires dans les 28 (ou 27) pays, mais aussi sur les intermédiaires financiers beaucoup plus nombreux ayant signé un accord avec le Fonds européen d’investissement (FEI), filiale de la BEI dédiée au financement des PME créée dès 1996, qui garantit ou contre-garantit des concours visant à renforcer la compétitivité des PME et TPE. Au total, le groupe de la BEI a validé 1200 opérations au cours des quatre dernières années et a garanti 439 Mds€ d’investissements au bénéfice de près d’un million de PME et TPE. Chiffre considérable, mais qui est loin de couvrir les 23 millions d’entreprises des 28 ou 27 pays (dont 93 % ont moins de 10 salariés), même si toutes n’ont pas de projets d’investissements verts ou n’ont pas de problèmes de financement. La BEI devrait sans doute reproduire ce dispositif pour le plan « banque climat » et chercher à toujours élargir le nombre de bénéficiaires. Mais ne va-t-elle pas rencontrer des limites de faisabilité, de surveillance du respect des critères qu’elle a fixés et du bon fonctionnement des accords passés avec les intermédiaires financiers ? De plus, est-ce que la BEI acceptera d’augmenter son exposition aux risques sur toutes les entreprises déjà aidées au motif qu’elles auraient des projets d’investissements verts ? On rappellera que, dans sa communication d’octobre, la BEI indique que « depuis l’entrée en vigueur du plan Juncker elle finance maintenant des projets plus petits mais plus risqués afin de compenser les défaillances du marché des capitaux en Europe. Or, celles-ci sont encore plus importantes pour les projets liés à la transition écologique, notamment dans les nouveaux États membres. Par exemple, les banques rechignent à financer des travaux de rénovation énergétique des habitations ou proposent des conditions de crédit peu favorables  ».

Quoi qu’il en soit, le groupe de la BEI ne peut pas toucher les plusieurs millions de professions libérales, d’artisans et de ménages qui auraient des investissements verts à financer dans toute l’Europe. Certes, elle indique par exemple soutenir plusieurs sociétés de tiers financement qui aident les ménages à rénover leurs logements, mais ce ne pourra rester que des initiatives peu nombreuses.

Autre point à noter, pour ce plan climat, sur 100 Mds € par an, les banques et autres financeurs devraient apporter 70 Mds€ est-il indiqué. C’est donc ces derniers qui financeront l’essentiel des projets dont la BEI assure tout ou partie du risque. Ne seront-ils pas, dès lors, moins « allants » pour financer les autres investissements verts n’ayant pas cette garantie BEI et dont le total nécessaire estimé est de plus de 80 Mds € par an pendant 10 ans pour le seul défi énergie-climat, et beaucoup plus encore en intégrant les besoins liés aux autres défis environnementaux ? Le doute est d’autant plus grand qu’ils pourront afficher qu’ils contribuent déjà fortement au succès du plan BEI-banque du climat.

3. L’indispensable implication de la BCE

La BCE ne peut pas continuer à dire qu’elle a fait tout ce qu’elle pouvait faire. Elle doit faire sa part [8]. En effet, même avec 100 Mds € d’intervention annuelle de la BEI, il reste 100 Mds € de financements climat à trouver et qui sont autant d’assiettes de refinancement possible auprès de la BCE. Montant qui, rappelons-le, serait considérablement augmenté si on prenait en compte les autres investissements environnementaux. Or, si les financements BEI bénéficient d’un possible refinancement par la BCE dans le cadre du « Quantitative easing (Q.E) », ce que Madame Lagarde vient d’ailleurs de rappeler, il est d’autant plus nécessaire de permettre le refinancement des investissements verts n’ayant pas bénéficié des avantages du plan BEI- banque du climat si on veut inciter les banques à les financer (elles sont les seules à pouvoir accompagner les micro-projets).

L’engagement de la BCE pour la transition climatique devrait passer par un dispositif préférentiel en termes de traitement prudentiel d’une part et de refinancement d’autre part. Ces deux champs d’action de la BCE supposent de définir préalablement des critères suffisamment robustes pour pouvoir établir une liste fiable des investissements verts qui méritent un traitement différencié et favorable par rapport aux autres investissements. En termes recherchés, on parle d’établir « une taxonomie ».

De façon pragmatique, les émetteurs et les souscripteurs d’obligations vertes et de crédits titrisés [9] ont depuis plusieurs années défini des standards suffisamment robustes pour qu’un marché important fonctionne et que progressivement les opérations de « greenwashing » soient repérées ; un émetteur peu scrupuleux prend maintenant le risque de le payer cher en terme d’image.

Plus tardivement, en avril 2018 une commission du Parlement européen a publié un rapport sur la finance durable ; le Parlement a adopté en mars 2019 un texte qui servira de base pour une directive sur la finance verte.

Le Conseil de la stabilité financière, créé par le G20 en 2009, a travaillé sur la publication d’informations financières relatives au climat (TCFD) et sur les ratios prudentiels (cf. infra). Sur initiative française, neuf banques centrales et organismes prudentiels initialement (une quarantaine aujourd’hui) ont également travaillé sur ces questions.

Après force négociations en raison des désaccords entre pays sur le traitement du nucléaire et du gaz, les États européens se sont finalement accordés le 16 décembre dernier pour arrêter cette taxonomie.
Ce référentiel, utile aux marchés bien que déjà bien articulés, sera le support indispensable à toute action ciblée d’envergure de la BCE et servira de cadre plus général au « green deal ». Les activités économiques durables sont classées en trois catégories : « verte » (neutre en carbone), « de transition » et « permettant la transition » cette dernière catégorie, créée pour sortir de l’impasse, logeant le nucléaire et le gaz. Cette classification est assortie d’une obligation pour les entreprises de plus de 500 salariés concernées – c’est-à-dire celles dont les activités entrent dans une des trois catégories – de publier la part de leur chiffre d’affaires et de leurs investissements annuels réalisés dans une ou plusieurs de ces technologies.

Cet accord doit être appliqué dès la fin de 2020 par le biais d’actes délégués (règlements), permettant une application immédiate contrairement aux directives. Il devrait être actualisé dans deux ou trois ans au vu de son fonctionnement et une taxonomie de tout ou partie des autres besoins dénommés dans cet article investissements environnementaux devrait être élaborée.

En matière prudentielle
Lors de son audition au Parlement européen le 4 septembre 2019, Madame Lagarde a évoqué la prise en compte des actifs verts dans la pondération des risques utilisée dans la détermination des ratios de capitaux des banques, comme le proposent la Commission sortante et les banques françaises, notamment avec le concept de « green supporting factor ». On ne peut que souscrire à cette intention [10]. Certes, ces financements ne sont pas, par nature, moins risqués que les investissements classiques (risques liés à l’emprunteur, à l’opération, à la géopolitique, aux possibilités de crises macro-économiques… à l’exception majeure, a priori, du risque climatique et/ou environnemental et des risques juridiques qui ne pourront que se développer sur les produits carbonés (ou dits « bruns » !). Leur pondération ne doit pas pour autant altérer la garantie que représentent les exigences prudentielles classiques [11]. Par contre, leur encours ne devrait pas entrer dans le calcul des exigences de fonds propres additionnels que les autorités peuvent demander quand elles estiment qu’il y a emballement des crédits et plus généralement des financements par dettes.

Par ailleurs, deux autres points sont à prendre en considération. Le premier est que la BCE devrait immédiatement diminuer l’assiette de pénalisation des dépôts excédentaires placés auprès d’elle (passée de 0,40 à 0,50 %) du montant des crédits verts accordés. Cela leur donnerait immédiatement un attrait pour que les banques en fassent une offre plus active. Le second est que, lorsque la BCE lancera un nouveau programme de prêts bancaires à long terme (TLTRO)- envisagé en mars 2019 par Mario Draghi pour septembre et non mis en place -, il faudra conditionner une partie de cette enveloppe à l’octroi de financements verts avec une pénalisation appropriée des établissements en cause en cas de non consommation manifeste de ladite enveloppe.

    
En matière de refinancement
Il est plus que regrettable que, depuis mars 2015 jusqu’à fin 2018, la BCE ait racheté 2600 Mds d’obligations publiques et privées à l’aveugle, sans aucun ciblage au profit d’investissements verts au moins pour une partie significative de cet énorme montant.

Cela au nom de la neutralité (fausse neutralité car favorable en fait aux grandes entreprises et/ou souvent à des investissements carbonés). Mario Draghi, qui a su avoir les mots pour protéger l’euro, n’a pas esquissé le moindre propos sur la BCE et la dimension écologique, y compris quand le 6 septembre il corsetait les premiers mois de Mme Lagarde – nommée le 1er novembre – en réactivant notamment le QE (Quantitative easing, en français assouplissement quantitatif) pour 20 Mds € par mois, sans limitation dans le temps.

Il avait encore eu l’opportunité à partir de janvier 2019 d’enclencher une action forte de réemploi en obligations vertes de tout ou partie des 130 Mds € d’amortissements par an des obligations achetées dans le cadre du QE ; mesure prise pour maintenir l’encours atteint fin 2018. Il n’en a rien été.

Au total, aujourd’hui encore, les refinancements continuent à se faire à l’aveugle, sauf ce que la BEI et les détenteurs d’obligations vertes (et leurs variantes) et de crédits titrisés lui présentent. Cela bénéficie essentiellement aux gros projets et à de grands acteurs publics et privés, évinçant de facto les petits projets et les opérations menés par tous les autres acteurs économiques « non BEI » ou non négociés sur les marchés On peut déjà y voir une discrimination – et non une neutralité – mais aussi une éviction fort regrettable pour une avancée la plus large possible des investissements verts menés par les acteurs économiques de toute taille – y compris les micro-projets des particuliers – tout à fait complémentaires aux opérations d’envergure.

Il faut donc le plus vite possible, d’une part, permettre la prise en garantie par la BCE de portefeuilles de prêts verts non titrisés (on parle de collatéralisation), et, d’autre part, leur ouvrir le refinancement. Ce n’est pas une hérésie que de proposer cela. Pendant des décennies, le refinancement par réescompte de crédits bancaires classiques a été utilisé par toutes les banques centrales comme support essentiel de refinancement des banques.

La dernière à l’utiliser, et qui ne l’a arrêté que contrainte est forcée, c’est la Bundesbank lors de l’instauration de l’euro en 1999, sous la pression de la pensée dominante selon laquelle les politiques monétaires ne devaient se faire que par la manipulation des taux d’intérêt à l’exclusion de tout ce qui ressemblait de près ou de loin à une orientation (même douce) de la politique des banques vers des concours éligibles au réescompte.

Enfin, pourquoi devoir passer par une titrisation de ces crédits qui est coûteuse pour accéder à un refinancement ? Des contrôles de non-détournement du dispositif pourraient être faits a posteriori notamment dans le cadre des inspections classiques des établissements bancaires.

Un dernier point doit être dit en conclusion de la présentation de ce dispositif BCE. C’est beaucoup plus par une meilleure réglementation prudentielle et la mise en place progressive d’un refinancement sélectif et ciblé que par une augmentation de la création monétaire que la BCE peut et doit agir. Rien de laxiste là-dedans. Les investissements verts non seulement éviteront des risques majeurs mais créeront de la valeur ajoutée saine et durable. Ces financements soutenus par l’action de la BCE n’en sont que l’anticipation. Que les gardiens de la monnaie veuillent bien l’entendre !

Conclusion

Les financements publics et ceux susceptibles d’être engagés via la BEI dans le programme des 1 000 Mds € ne couvriront pas, loin s’en faut, les besoins de la transition énergétique et du climat et encore moins ceux liés aux investissements environnementaux. La BCE doit jouer son rôle tant dans le domaine prudentiel que dans celui du refinancement.

Elle doit l’annoncer très formellement en précisant qu’il s’agit d’une politique structurelle et durable. Il est d’autant plus important de l’annoncer et surtout de l’amorcer rapidement, car les risques d’une crise financière sévère se précisent et, en cas de crise, les financements de projet innovants et/ou à horizon de moyen-long terme sont toujours repoussés à des jours meilleurs. À l’évidence, les financements de la transition énergétique et climatique connaîtraient ce sort.

Si Mario Draghi a rouvert le QE à hauteur de 20 Mds par mois, toujours sans exclure les financements carbonés [12], peut-on néanmoins espérer une réelle implication de la BCE à partir de maintenant ? Oui, si l’on en croit les propos de Mme Lagarde devant le Parlement européen le 4 septembre 2019. N’a-t-elle pas déclaré – à titre personnel – « Le changement climatique doit être intégré au sein des objectifs de la BCE ». Elle a ajouté « La stabilité des prix reste l’ancrage absolu de la BCE, son objectif premier. L’environnement peut faire partie des objectifs secondaires ». [13]

Rien n’empêche la BCE de Mme Lagarde d’amender au plus vite le dispositif du 6 septembre et dessiner rapidement une politique d’ensemble contribuant réellement à affronter les défis énergétiques, climatiques et environnementaux. Sera-t-elle au rendez-vous ? [14]

Lors du premier Conseil du 12 décembre qu’elle a présidé, rien n’a été changé au dispositif Draghi, ni même évoqué comme chose possible. Mme Lagarde a annoncé que la BCE allait engager en janvier une revue stratégique du cadre de sa politique monétaire qui doit aboutir « avant la fin de 2020 ». C’est dire que rien ne changera au mieux avant le printemps 2021 !! De plus elle a ajouté« Nous verrons où et comment nous pouvons participer à l’ambition du « Pacte vert » (Green Deal) de la présidente de la Commission, Ursula Von der Leyen ». Quel engagement, quel enthousiasme ! Cela commence plutôt mal.

Pourtant, ne rien faire rapidement en matière de climat et d’environnement et par contre, possiblement, engager prochainement la nouvelle idée à la mode d’une politique « d’argent hélicoptère » [15] totalement aberrante (voire démagogique, car toujours sans aucun discernement et poussant encore plus à une consommation de choses souvent futiles et aggravant gaspillage et dégradation de la planète), serait une dramatique erreur historique.

Notes

[11 800 Mds sur dix ans, c’est beaucoup plus que le chiffre avancé par Nathalie Loiseau lors du Grand Débat du 9 avril 2019 pendant la campagne pour les élections européennes « L’UE estime à 1 000 Mds € le coût de la transition énergétique ». Mais peut-être parlait-elle de la seule transition énergétique qui n’est qu’une partie de la transition climatique ?

[2Le Panorama des financements climat de I4CE est réalisé avec les soutiens techniques et financiers de l’ADEME, du Ministère de la transition écologique et solidaire et de la Fondation européenne du climat.

[3Ce qui serait inférieur à la plupart des autres pays, sans doute en raison de l’importance de l’électricité nucléaire.

[4À ces besoins considérables il faut ajouter les engagements européens pris dans le cadre de l’Accord de Paris pour le financement international de la lutte contre le changement climatique. L’U. E, ses États membres et la BEI constituent en effet le principal bailleur de fonds publics destinés à la lutte contre le changement climatique dans les pays en développement. Ils leur ont ainsi octroyé 20,4 Mds € pour la seule année 2017. Chiffre qui ne pourra que croître fortement dans la (les) décennie(s) à venir si on ne veut pas que les progrès acquis dans l’Union européenne soient plus qu’effacés par l’impossibilité pour la plupart de ces pays de faire face seuls à ces défis.

[5En fait, et cela en dit long, le mot budget a été récusé pour « instrument budgétaire pour la convergence et la compétitivité ». Il ne représentera que... 2 à 3 Mds € par an !

[6Lui-même reprenant des éléments de la proposition du « Pacte Finance – Climat », appel du 19 février 2019 lancé par Jean Jouzel et Pierre Larrouturou et plus de 500 personnalités provenant de 12 pays.

[7La BEI annonçant également ce même jour qu’elle cesserait de financer de nouveaux projets liés aux énergies fossiles, y compris le gaz, à partir de 2022.

[8C’est différent aux USA, pays fédéral où il n’y a pas la limite des 3 % pour les déficits budgétaires, ni pour son administration de devoir recueillir l’unanimité de 27 pays pour prendre une décision : la FED n’a donc pas à palier de telles contraintes.

[9Obligations vertes, obligations climat, obligations durables ou sociales (connues sous des appellations comme ’ green bonds ’ et ’ social bonds ’ notamment) et titres négociables représentatifs de crédits verts titrisés - ’ asset backed securities ’- 

[10Certains, dont des banquiers centraux, sont plutôt favorables à la mise en place d’une pondération plus sévère pour les produits carbonés ou « bruns » (« brown penalizing factor ») car source de risques en matière de stabilité financière et de la compétence actuelle de la BCE. Mais cela suppose également d’établir une taxonomie pour eux. Car tout ce qui n’est pas vert n’est pas forcément brun ! Quid des financements pour couvrir des besoins en fonds de roulement ou des prêts personnels, par exemple ? Pour ces derniers, ils pourront être employés pour acheter un SUV ou une voiture électrique ou pour investir ou consommer dans des produits plus ou moins neutres. Vu l’importance considérable des encours « bruns », on ne pourrait les taxer que faiblement, sans pour autant pouvoir changer le passé et ses conséquences qui perdurent. On peut certes taxer assez fortement les nouveaux financements, mais cette taxation ne pourra jamais être portée à un niveau qui dissuaderait les emprunteurs d’investir dans ces produits fortement carbonés ou polluants lorsque leurs cours flambent. À l’inverse, lorsque ces mêmes cours sont très bas, elle pourrait nuire à la réalisation de certains investissements de maintenance, voire du maintien à des moments donnés d’un certain niveau de production restant indispensable pendant toute la transition, soit probablement pendant quinze ans plutôt que dix ans.

[11Les pondérations actuelles sont très différentes les unes des autres et néanmoins elles sont censées ne pas altérer la robustesse des ratios de fonds propres de chaque banque ni celle de tout le système bancaire. C’est parfois discutable, notamment pour les opérations de marché, mais c’est bien ainsi que cela fonctionne alors qu’il y a implicitement contradiction d’objectifs. Certes, cette pondérable pour les crédits verts ne sera vraiment efficace que si elle est complétée par une politique de refinancement en ligne avec cette orientation ; ce qui me fait répondre indirectement à Finance Watch, qui considère que cette pondération favorable des financements verts est inefficace et surtout à l’Institut Bruegel qui va jusqu’à la qualifier d’irresponsable ! (Un « green supporting factor » fragiliserait les banques et n’aurait qu’un faible impact sur le financement de la lutte contre le réchauffement climatique - 02/02/2018)

[12Ainsi, dans la première semaine de fonctionnement de ce nouveau Q.E, la BCE aurait acquis 25 % de la dernière émission de 750 mds € de Shell. Les Echos du 13/11/ 2019.

[13En référence à l’article 127 des traités sur les prérogatives de la BCE (référence toujours écartée jusqu’à présent par les responsables de la BCE, Benoît Coeuré excepté il y a quelques mois) : « L’objectif principal du Système européen de banques centrales, ci-après dénommé « SEBC », est de maintenir la stabilité des prix. Sans préjudice de l’objectif de stabilité des prix, le SEBC apporte son soutien aux politiques économiques générales dans l’Union, en vue de contribuer à la réalisation des objectifs de l’Union, tels que définis à l’article 3 du traité sur l’Union européenne. Le SEBC agit conformément au principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre, en favorisant une allocation efficace des ressources et en respectant les principes fixés à l’article 119 ».

Article 3 ’ L’Union établit un marché intérieur. Elle œuvre pour le développement durable de l’Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement ’.

[14Il lui faudra dépasser les fortes réticences exprimées par le président de la Bundesbank le 29 octobre, mais c’est le contraire qui aurait été une énorme surprise et ce n’est pas la première fois, Mario Draghi en sait quelque chose ! Cela étant, lors du premier Conseil du décembre présidé par Mme Lagarde, rien n’a été changé. La BCE va engager en janvier une revue stratégique du cadre de sa politique monétaire. Elle doit aboutir « avant la fin de 2020 », a annoncé la nouvelle Présidente de la BCE. C’est dire que rien ne changera avant 2021 !

[15La monnaie hélicoptère, image utilisée pour la première fois par Milton Friedman, vise la distribution aux ménages et/ou aux entreprises de monnaie directement créée par une banque centrale, sans aucune contrepartie. 

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