Pour des principes universels de retraite

lundi 20 janvier 2020, par Pierre Concialdi

Depuis plus de trente ans, le système de retraite a fait l’objet d’attaques de plus en plus violentes de la part des gouvernements successifs. Le projet du gouvernement Macron constitue le dernier avatar de cette litanie de prétendues réformes qui, au motif de sauvegarder le système de retraite, en organisent la régression au détriment principalement des plus jeunes générations. Le patronat a aussi, on le dit moins souvent, pris sa part à ce combat en exerçant un chantage permanent sur le financement des retraites complémentaires du secteur privé qui représentent environ, pour les salariés concernés, entre un tiers (ouvriers) et deux tiers (cadres) de leur pension.

Résultat : les changements apportés depuis 30 ans au système de retraite ont considérablement bouleversé sa trajectoire. Si l’on ne réforme pas (au véritable sens du mot) notre système de retraite, c’est le spectre de la pauvreté à la retraite qui guette les générations futures. Le projet du gouvernement n’innove pas ; il ne fait qu’accélérer le processus en brouillant encore davantage les repères. Son objectif est de mettre en place les outils d’une gestion technocratique et opaque du système des retraites sans garantir un quelconque niveau de pension [1].

De multiples acteurs sociaux (syndicaux, politiques, associatifs) ont régulièrement produit des contre-expertises qui ont battu en brèche les discours gouvernementaux. Tout honnête femme ou homme qui souhaite s’informer et s’approprier ces arguments peut le faire sans difficulté.

Après plusieurs décennies de ce processus récurrent de régression, il faut bien constater, cependant, que ce travail technique de contre-expertise n’a pas réussi à inverser la vague libérale qui a déferlé sur l’ensemble de la planète après la chute symbolique du mur de Berlin. C’est vrai pour les retraites comme pour bien d’autres sujets : la bataille idéologique a été, temporairement peut-on souhaiter, perdue. Il y a très probablement de multiples raisons à cela et il serait fastidieux d’en dresser l’inventaire.

Un certain nombre de signes, ici et ailleurs, montrent que ce processus est probablement en train de s’inverser. La question qui se pose alors est de savoir comment accompagner ce « contre-mouvement ». L’expertise technique reste, bien entendu, nécessaire, surtout avec un gouvernement qui n’hésite pas à aligner les fake news pour tenter de légitimer son projet. Mais elle a ses limites. Car la technicité enferme dans un débat technique qui reste inaccessible au plus grand nombre et peu mobilisateur.

La grande force des idées libérales réside dans leur simplicité et, en particulier, dans leur capacité à résonner dans l’imaginaire collectif. Il n’est pas difficile alors de lancer le tam-tam médiatique. Aujourd’hui, en ce qui concerne les retraites, c’est le mot d’universalité qui fournit cet étendard idéologique au pouvoir en place. L’universalité, c’est un des maîtres-mots de la Déclaration universelle des droits de l’homme. L’universalité, c’était aussi le projet des initiateurs de la sécurité sociale. En raison de la forte opposition des professions indépendantes à l’époque, cette volonté n’a pu se concrétiser lors de la création de la Sécurité sociale.

Il faut cependant rappeler que, notamment dans le domaine des retraites, d’importantes lois votées dans les années 1970 ont repris cette ambition et l’ont fait progresser, en particulier avec l’alignement progressif des régimes de base des non-salariés sur celui des salariés (1971), la généralisation de la retraite complémentaire à l’ensemble des salariés du secteur privé (1972) ou la mise en place de mécanismes de compensation entre régimes (1974). Plus récemment, le processus de convergence amorcé de longue date pour les salariés du secteur privé a abouti à la mise en place en 2019 d’un régime unique de retraite complémentaire pour ces salariés (fusion AGIRC-ARRCO). Ce n’est qu’en faisant abstraction de cette histoire que le gouvernement peut prétendre aujourd’hui « renouer » avec l’idée d’universalité. Cette idée a progressé depuis 1945, même si on peut considérer qu’elle reste inaboutie.

C’est cette idée d’universalité qu’il est nécessaire de se réapproprier. Et pour cela, il faut lui donner un minimum de contenu en allant un peu au-delà de la communication gouvernementale (« un euro cotisé donnera les mêmes droits ») qui nous promet l’uniformité (au rabais) en gage d’universalité. Ce texte pose quelques jalons pour une discussion collective sur cette question.

En résumé, les principes universels qui pourraient guider l’organisation d’un système de retraite tiennent en trois mots : équilibre, soutenabilité, justice.

1. Un système de retraite équilibré

Un système de retraite équilibré est un système qui permet d’assurer un équilibre adéquat entre le niveau de vie des actifs et celui des retraités.

La fonction essentielle d’un système de retraite en répartition est d’organiser un transfert collectif des personnes en emploi vers les personnes âgées. Ce transfert a pour but de réaliser un certain équilibre entre la situation (le niveau de vie) des personnes en emploi et celle des personnes considérées comme trop âgées pour continuer à travailler.

Aujourd’hui, il y a approximativement et, en moyenne, une parité de niveau de vie entre les personnes d’âge actif et les retraités. Ce n’était pas a priori l’objectif du système de retraite et, d’ailleurs, les pensions ne contribuent que pour les trois quarts environ à cette parité de niveau de vie [2]. Un certain nombre de retraités perçoivent en effet, outre leur pension, des revenus d’activité ou des revenus de la propriété. Sans ces autres revenus, on serait loin aujourd’hui de la parité globale de niveau de vie entre actifs et retraités.

On ne voit guère d’argument pour remettre en cause cette situation. Si c’était le cas, il faudrait alors préciser quelle serait la cible à atteindre : 80 % du niveau de vie des actifs ? 60 % ou encore moins ? Et pour quels motifs ? L’équilibre des niveaux de vie entre actifs et retraités est une question centrale qui devrait faire l’objet d’un débat public. Elle est totalement occultée par le gouvernement Macron.

Pourtant, les chiffres sont connus. Sans aucun changement à notre système de retraite, avant même le grand chamboulement que veut mettre en place le gouvernement, les « réformes » déjà engagées depuis trente ans vont conduire, quand elles produiront leur plein effet, à un appauvrissement des retraités. En 2050, le rapport entre la pension moyenne et le revenu moyen par habitant sera revenu à son niveau de 1970 (Commission européenne, Ageing report 2018). À l’époque, le taux de pauvreté parmi les retraités était de 35 %, quatre fois plus élevé qu’aujourd’hui.

La perspective de ce déficit social n’est pas acceptable. Pour le résorber, il est nécessaire de rééquilibrer notre système de retraite et de fixer de façon collective et transparente (c’est tout l’intérêt de l’économie politique propre aux régimes en répartition) deux objectifs.

Le premier concerne le niveau de la pension. Il se résume à un taux de remplacement qui mesure le rapport entre la première pension et le dernier salaire. Il est essentiel de préserver ce repère collectif et de le fixer à un niveau suffisant, notamment pour les plus bas revenus pour lesquels les pensions représentent l’essentiel des ressources.

Le second objectif porte sur l’indexation des pensions. Il n’est pas moins important compte tenu de la durée de vie « à la retraite ». Il est essentiel à cet égard que la pension soit réévaluée en fonction de l’évolution générale des niveaux de vie. La productivité actuelle est tout autant le résultat des efforts des salariés d’aujourd’hui que de ceux d’hier qui y ont contribué par leur travail. Il n’y aucune raison de priver les vieux travailleurs des fruits de ces efforts dont bénéficient les actifs. Réciproquement, en cas de « coup dur », il est normal que tous les membres de la société – actifs et retraités tous ensemble – en prennent leur part. Un système équilibré de retraite nécessite de fixer des règles d’évolution des pensions qui préserve l’équilibre des niveaux de vie entre actifs et retraités.

2. Un système de retraite soutenable

Un système de retraite soutenable est un système qui permet aux travailleurs de partir à la retraite avec une pension « équilibrée » (cf. § 1), compte tenu des possibilités objectives d’emploi offertes par le marché de l’emploi.

Dans le système français, les droits à retraite sont ouverts sous une double condition d’âge minimum et de durée de cotisation. Si la première condition n’est pas remplie (âge minimum), il n’est tout simplement pas possible de percevoir une pension, quelle que soit la durée de cotisation qui reflète, dans une très large mesure, la durée de travail durant la vie active. C’est pourquoi ce levier est mobilisé par les gouvernements qui veulent faire des économies rapidement. Si la seconde condition (durée minimum de cotisation) n’est pas remplie, la pension de retraite subit un abattement (proratisation et/ou décote). La question du maintien de cette double condition (ou de son assouplissement) doit être posée.

On peut considérer que la pension de retraite est, fondamentalement, une forme de reconnaissance du travail passé [3]. La cotisation sociale n’est en effet que l’instrument politique qui permet de légitimer le droit à la retraite. Elle n’a jamais servi de base au calcul de la pension, contrairement à ce qu’envisage Macron en faisant de cette cotisation un équivalent épargne qui aboutit à mimer la capitalisation.

Dans ces conditions, c’est plutôt la durée du travail qui devrait être le critère premier. Pour avoir un système soutenable, il est alors nécessaire de définir une durée de cotisation « pivot » cohérente avec la durée moyenne d’emploi (et donc de cotisation dans une très large mesure) espérée tout au long de la vie active. Pour les hommes de la génération 1950, « l’espérance d’activité professionnelle » était de 37,5 ans ; elle devrait passer à 35 ans pour la génération 1970. Le fossé s’est donc creusé entre la durée minimale de cotisation pour une retraite pleine et les possibilités objectives offertes aux salariés, notamment les plus jeunes, d’être en emploi. Pour les générations nées à partir du milieu des années 1970, la durée d’assurance validée pour la retraite avant 30 ans est en moyenne de 32 trimestres, soit 8 années. Pour ces mêmes générations, la durée minimale de cotisation exigée serait de 43 ans, ce qui implique de ne pas pouvoir partir à la retraite avant 65 ans, en moyenne.

Les chiffres précédents montrent que le système de retraite actuel n’est pas soutenable. Il est donc nécessaire d’engager une délibération collective afin de redéfinir les paramètres soutenables de notre système de retraite. Cette réflexion devrait aussi intégrer l’évolution de l’espérance de vie à 60 ans - dont la progression s’est considérablement ralentie à partir de 2010 - ainsi que celle l’espérance de vie en bonne santé, qui constituent deux indicateurs clés.

3. Un système de retraite juste

Un système de retraite juste est un système qui permet, non seulement d’accéder à un niveau de vie minimum décent, mais aussi de prendre en compte les différences dans les conditions de travail, d’emploi et de rémunération des salariés.

La première exigence de justice, qui vaut aussi bien pour les retraités que pour l’ensemble de la population, est de garantir un socle d’égalité qui permette à tous d’accéder à un niveau de vie minimum décent. Les travaux de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (Onpes) ont permis de chiffrer ce minimum décent, pour les ménages de retraités et les ménages d’actifs. C’est sur cette base qu’il faut redéfinir des garanties minimales de pension cohérentes avec cet objectif. Il ne s’agit pas nécessairement d’assurer cette garantie de niveau de vie minimum décent uniquement à travers les pensions de retraite, mais de concevoir une articulation entre le système de retraite et les autres dispositifs de transfert (prélèvements et autres prestations) qui permette de garantir la réalisation de cet objectif.

La seconde exigence de justice consiste à reconnaître et à prendre en compte, au moins dans une certaine mesure, les différences majeures qui existent dans les conditions d’emploi, de travail et de rémunération des salariés. L’inégalité des salaires, la pénibilité du travail, la précarité de l’emploi constituent les trois dimensions majeures de cette question.

Un axe possible de réflexion permettant de répondre à ces deux exigences consisterait à articuler dans le système de retraite deux catégories de pension. Une première pension serait liée à la durée du travail, chaque année de travail ouvrant droit en termes de pension à une même fraction, égale pour tous, d’un salaire de référence (le salaire moyen ou médian par exemple). La définition de ce socle commun serait l’occasion de poser la question de la reconnaissance des différentes formes de travail (au-delà du seul emploi rémunéré) et de leur pénibilité, chaque année de travail n’étant pas nécessairement équivalent à une autre. Une seconde pension serait plus directement liée au salaire selon une règle de proportionnalité, dans la limite d’un certain plafond.

Cependant, la fonction première d’un système de retraite n’est pas de compenser après coup les inégalités subies sur le marché de l’emploi. Des actions sont nécessaires pour agir de façon structurelle à la source de ces inégalités.

La question de la pénibilité du travail, en particulier, devrait être intégrée dans la « gestion » des trajectoires professionnelles afin de limiter l’exercice des métiers pénibles durant toute la vie active. Elle devrait aussi, bien évidemment, être intégrée dans la définition même des postes de travail afin d’en réduire au maximum la pénibilité.

La question du chômage et de la précarité de l’emploi est étroitement liée au caractère soutenable du système de retraite. La question clé est ici celle du plein emploi et de la réduction du temps de travail. Traiter cette question exigerait de longs développements. On peut simplement rappeler ici que la retraite constitue une forme majeure de réduction du temps de travail et qu’il est donc nécessaire d’intégrer cette dimension dans une politique de plein emploi.

La question de l’inégalité salariale se déploie sous de multiples dimensions. Elle résulte, au moins en partie, du fonctionnement débridé du marché du travail où le rapport de forces entre salariés et employeurs aboutit à marginaliser les catégories le plus vulnérables. La première exigence est ici de définir un salaire minimum décent (living wage), en cohérence avec les budgets de référence publiés par l’ONPES (cf. supra niveau de vie minimum décent).

Ces actions structurelles de long terme ne pourront porter leurs fruits que dans la durée. On peut souhaiter qu’elles permettront aux plus jeunes générations d’arriver à l’âge de la retraite dans des conditions meilleures que celles qui leur sont aujourd’hui « promises ». Mais elles ne pourront guère concerner les salariés qui sont déjà proches de l’âge de la retraite. Des mesures spécifiques doivent donc être prises à court et moyen terme pour prendre en compte ces différentes dimensions des inégalités d’emploi et de salaire dans le calcul des droits à pension.

Les principes précédents ne constituent qu’une base de réflexion qui doit faire l’objet d’une discussion et d’une appropriation collectives. Ils peuvent déboucher sur la définition d’objectifs concrets (quantifiés). Au stade actuel cependant, il serait prématuré – et probablement contre-productif – d’avancer de tels objectifs. Le débat risquerait alors de se focaliser sur ces chiffres, au détriment des questions de principe évoquées précédemment qui peuvent sans doute plus facilement recueillir un consensus au sein de la société et des acteurs sociaux.

Complément statistique démographique

Depuis plusieurs décennies, l’espérance de vie (à 60 ans) progressait de façon relativement régulière dans la plupart des pays. En France, sur la période 1980-2010, l’espérance de vie à 60 ans a ainsi augmenté de 1,6 an tous les 10 ans. Depuis 2010, ce phénomène s’est considérablement ralenti : le gain d’espérance de vie a diminué de moitié. Il est bien sûr difficile de dire s’il s’agit là d’un phénomène durable. Cependant, le cas de la France n’apparaît pas isolé et l’on observe un phénomène analogue dans la plupart des pays développés. Ce qui suggère qu’il s’agit là un phénomène de nature structurelle et durable.

Gain d’espérance de vie à 60 ans

(nombre d’années de vie gagnées tous les 10 ans)

1980-20102010-2017
France 1,61 0,83
Royaume-Uni 1,64 0,82
Allemagne 1,60 0,71
États-Unis 1,10 0,50
Japon 1,82 1,22
Irlande 1,92 1,26
Italie 1,79 1,43
Espagne 1,47 1,08
Portugal 1,54 1,36
Suède 1,29 1,06
Norvège 1,23 1,50

Notes

[1La note méthodologique qui accompagne la publication en décembre 2019 des premiers cas-types du gouvernement ne définit aucun objectif, ni en matière de taux de cotisation, ni en ce qui concerne l’indexation des paramètres clés du système à points (prix d’achat et valeur du point) qui déterminent le niveau de la pension. La note évoque des taux de cotisation cible, le taux de cotisation effectif progressant vers la cible sur une période indéterminée (« de 10 à 20 ans »). Quant à la valeur du point, elle devrait être indexée sur l’évolution des salaires après une période de transition… de 17 ans.

[2En 2015, pour les ménages avec au moins un retraité, les pensions de retraites représentent 68,4% du revenu avant impôts et prestations « non contributives » (allocation logement, minima sociaux, prime pour l’emploi et RSA activité). Ce ratio est de 77,5% pour les ménages où tous les membres sont retraités.

[3Cette question renvoie à la façon dont le travail dans toutes ses formes, y compris non rémunérées dans le cadre d’un emploi, devrait être reconnu pour le calcul de la pension (notamment en ce qui concerne le travail domestique, le travail bénévole, le travail d’aidant…). Cette question n’est pas traitée ici.

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